Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/216

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ment se compter parmi les exploits les plus audacieux des marins. La distance n’était certainement pas aussi grande que celles de leurs excursions ordinaires, car des navires allaient souvent dans la même direction jusqu’aux îles du Cap-Vert. Mais dans tous leurs autres voyages, les Européens longeaient les côtes ; et dans la Méditerranée, ils sentaient qu’ils naviguaient entre des limites connues, et se considéraient comme étant dans l’enceinte des bornes des connaissances humaines. Au contraire, en voguant sur l’immense Atlantique, ils étaient en quelque sorte dans la même situation que l’aéronaute qui, en flottant dans les courants plus élevés de l’atmosphère, voit sous lui la terre comme la seule place qu’il puisse atteindre, et n’aperçoit autour de lui, de tous les autres côtés, que le vide et l’espace.

Les îles Canaries étaient connues des anciens. Juba, roi de Mauritanie, contemporain de César, en fit, dit-on, une description assez exacte sous le nom des îles Fortunées. Son ouvrage est perdu pour nous, mais le fait est attesté par le témoignage d’autres écrivains, et c’est par eux qu’on sait que, même dans ce siècle reculé, il s’y trouvait une population qui avait fait de très-grands progrès vers la civilisation. Mais avec le temps, et durant les siècles de ténèbres qui succédèrent à l’éclat de la domination romaine, les Européens oublièrent jusqu’à la position de ces îles, et ils ne les retrouvèrent qu’après la moitié du quatorzième siècle, quand elles furent découvertes par quelques Espagnols fugitifs poursuivis par les Maures. Bientôt après, les Portugais, qui étaient alors les navigateurs les plus hardis du monde connu, prirent possession d’une ou deux de ces îles, et en firent leur point de départ pour leurs voyages de découvertes le long de la côte de Guinée. À mesure qu’ils détruisaient le pouvoir des musulmans dans la Péninsule, et y reprenaient peu à peu leur ancienne puissance, les Espagnols tournèrent de nouveau leur attention de ce côté et convertirent à la foi les naturels de quelques autres de ces îles : à l’époque dont nous parlons, elles se trouvaient partagées entre ces deux nations chrétiennes.

Luis de Bobadilla, qui avait fait plusieurs voyages dans les mers plus septentrionales, et qui avait parcouru la Méditerranée dans différentes directions, ne connaissait ces îles que de nom : assis sur la dunette avec l’amiral, celui-ci lui indiqua la position de chacune d’elles, lui en expliqua et les caractères distinctifs et les