Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/218

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toujours ouverts, et les connaissances de tous les philosophes de la terre ne pourraient résister à l’impétueuse détermination d’un équipage inquiet et en pleine révolte. Je ne me sens pas assuré des hommes qui composent le nôtre, tant qu’ils pourront conserver l’espoir d’un retour facile, je dois donc l’être bien moins encore de ceux qui ne sont pas directement sous mes ordres et sous mes yeux. Vous le voyez, Luis, je ne puis répondre publiquement à la question que vous venez de me faire ; car la distance que nous avons à parcourir effraierait nos marins, qui s’alarment aisément. Mais vous, Luis, vous êtes un noble cavalier, un chevalier dont le courage est connu et sur qui l’on peut compter, et il m’est permis de vous dire, sans craindre de faire naître en votre cœur aucun sentiment indigne de vous, que le voyage que nous venons de commencer n’a jamais eu son semblable pour la longueur et l’isolement du chemin.

— Et cependant, Señor, vous l’entreprenez avec la confiance d’un homme certain d’entrer dans le port où il veut arriver.

— Vous appréciez parfaitement mes sentiments, Luis. Quant à ces craintes vulgaires, d’avoir à monter et à descendre, d’éprouver des difficultés pour notre retour, d’arriver aux limites de la terre et de glisser dans le vide, elles ne nous tourmenteront guère, ni vous ni moi.

— Par saint Jacques, don Christoval, mes idées ne sont pas très-fixes sur tout cela : je n’ai jamais connu personne qui ait glissé de la terre dans le vide, il est vrai, et je ne crois pas très-probable qu’il puisse nous arriver à nous et à nos bons navires de faire une telle glissade ; mais, d’un autre côté, nous n’avons encore que la théorie pour nous prouver que la terre est ronde, et qu’il est possible d’arriver à l’est en gouvernant à l’ouest ; sur ces questions, je reste neutre. Mais vous pouvez gouverner en droite ligne vers la lune, et Luis de Bobadilla sera toujours à côté de vous.

— Vous vous représentez comme moins savant que vous ne l’êtes et qu’il n’est nécessaire de le dire, jeune évaporé. Mais nous ne parlerons pas davantage de ce sujet quant à présent ; j’aurai tout le loisir, pendant notre voyage, de vous faire comprendre mes raisons et mes motifs. — Et n’est-ce pas une vue céleste, Luis, que celle qui s’offre en ce moment à mes yeux ? Me voici sur le grand Océan, honoré par nos deux souverains du titre de vice-roi et d’amiral, et commandant une flotte chargée par Leurs