Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/225

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ses talons, travaillant comme l’humble mulet qui porte le fardeau que le noble cheval refuse. Dans le premier cas, il est trop grand, trop élevé pour s’inquiéter de quelques paroles oiseuses ; dans le second, qu’y a-t-il qu’un Castillan n’ose lui dire ?

— Oui, tu aimes à te dire Castillan, en dépit du panier et de la porte du chantier, et quoique Moguer dépende de Séville.

— Écoute, Pépé : la reine de Castille n’est-elle pas notre maîtresse ? Ne sommes-nous pas ses sujets ? — et de véritables et légitimes sujets comme toi et moi ne sont-ils pas dignes d’être les compatriotes de leur reine ? — Ne te rabaisse jamais, Pépé ; tu trouveras assez de gens disposés à te rendre ce service. Quant à ce Génois, il sera l’ami ou l’ennemi de Sancho : dans le premier cas, j’en attends beaucoup de consolation ; dans le second, qu’il cherche son Cathay jusqu’au jour du jugement dernier, il n’en sera jamais plus savant.

— Eh bien ! Sancho, que les paroles soient ou nuisibles ou utiles à un voyageur, tu n’en es pas moins un excellent marin, car personne ne sait mieux discourir que toi.

Ayant fini leur ouvrage, ils descendirent de la dunette et allèrent rejoindre le reste de l’équipage. Colomb ne s’était pas trompé dans son calcul ; ses paroles et sa condescendance avaient produit un très-heureux effet sur l’esprit de Sancho Mundo, car c’était le nom véritable de ce marin ; et en gagnant un partisan dont l’esprit était si délié et la langue si bien pendue, il trouva du auxiliaire nullement à dédaigner. Souvent, c’est à l’aide de pareils moyens et de tels instruments que l’on arrive au succès ; car il est possible que même la découverte d’un monde dépende d’un mot favorable prononcé par un homme moins fait que Sancho Mundo pour influer sur l’opinion.