Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/238

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— Son nom n’est pas un secret, car on parle publiquement à la cour de sa conduite singulière et malavisée, et l’on dit même qu’elle lui a causé des contrariétés en amour. Ce cavalier n’est rien moins que don Luis de Bobadilla, comte de Llera.

On dit que les écouteurs aux portes entendent rarement faire leur éloge ; Luis était destiné à reconnaître en ce moment la vérité de cet axiome. Il sentit le sang lui monter au visage, et eut besoin de faire un grand effort sur lui-même pour ne pas se laisser emporter à des exclamations qui auraient probablement renfermé des invocations à la moitié des saints dont il n’avait jamais entendu les noms ; heureusement il réussit à réprimer ce mouvement soudain. Retenant avec peine les paroles qui étaient sur ses lèvres, il regarda fièrement autour de lui pour voir si la physionomie de quelque cavalier oserait applaudir par un sourire à ce qui venait d’être dit. Par bonheur ils étaient tous en ce moment groupés autour de Colomb, et discutaient chaudement avec lui la question de l’existence probable de l’île de Saint-Brandan. Luis ne put donc apercevoir nulle part un sourire qui lui aurait permis de chercher querelle à toute personne de la société qui eût la moindre trace de barbe au menton. Toutefois ces douces impulsions qui agissent toujours sur une femme, portèrent en ce moment une des belles compagnes de doña Inez à prendre la parole, et elle le fit d’une manière qui contribua puissamment à calmer l’agitation de notre héros.

— Il est vrai, Señora, dit la jeune et jolie avocate, dont la douce voix apaisa sur-le-champ la tempête qui s’élevait dans le sein du jeune homme ; — il est vrai, Señora, qu’on dit que don Luis aime à courir le monde, et a des goûts et des habitudes volages ; mais on assure aussi qu’il a un excellent cœur, qu’il est généreux comme la rosée du ciel, qu’il est la meilleure lance de toute la Castille, et qu’il obtiendra probablement la plus jolie fille de ce royaume.

— Ah ! scñor Gutierrez, dit doña Inez en souriant, aussi longtemps que la jeunesse et la beauté feront plus de cas du courage, des exploits et de la libéralité, que des vertus plus modestes que nous enjoint notre religion, vertus que ses ministres cherchent à nous inculquer avec tant de zèle, ce sera en vain que les prêtres prêcheront, que les parents feront entendre le blâme. Désarçonner un chevalier ou deux dans un tournoi, rallier un escadron enfoncé par une charge des infidèles, cela compte beaucoup