Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/253

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changements avaient pu s’opérer pendant qu’il dormait. Plusieurs minutes se passèrent dans une attention profonde, et enfin Colomb appela Luis auprès de lui.

— Voyez-vous, lui dit-il, cette masse noire qui sort des ténèbres au sud-ouest, et qui prend à chaque instant une forme plus distincte, quoiqu’elle soit à huit ou dix lieues ? c’est l’île de Fer ; et, sans aucun doute, les Portugais sont là, attendant avec impatience notre apparition. Pendant ce calme, nous ne pouvons nous approcher les uns des autres, et à cet égard nous sommes en sûreté : toutefois il est nécessaire de savoir si les caravelles lancées à notre poursuite sont ou ne sont pas entre la terre et nous. Dans le dernier cas, nous n’aurons que peu de choses à craindre, n’approchant pas davantage de cette île, et nous pourrons, comme hier, conserver l’avantage du vent. Voyez-vous quelque voile dans cette partie de l’Océan, Luis ?

— Je n’en vois aucune, Señor ; et il fait déjà assez jour pour qu’on aperçoive les voiles blanches d’un bâtiment, s’il s’en trouvait quelqu’un.

Colomb fit une exclamation en actions de grâces, et ordonna sur-le-champ aux hommes qui étaient en vigie au haut des mâts d’examiner tout l’horizon. Leur rapport fut favorable. Les caravelles portugaises si redoutées ne se montraient d’aucun côté. Cependant, au lever du soleil, une brise s’éleva au sud-ouest, plaçant l’île de Fer et tous les bâtiments qui pourraient croiser de ce côté, directement au vent de l’escadre espagnole. On fit route sans perdre un instant, et l’amiral gouverna au nord-ouest, espérant que les caravelles portugaises étaient en ce moment au sud de l’île, car il lui semblait très-probable que, ne connaissant qu’imparfaitement ses desseins, ses rivaux l’attendaient de ce côté. Les lames, venant de l’ouest, avaient alors beaucoup perdu de leur force, et quoique la marche des bâtiments fût loin d’être rapide, elle était régulière, et promettait de durer. Les heures s’écoulèrent lentement ; mais, à mesure que le jour avança, les objets devinrent de moins en moins distincts sur les côtes de l’île de Fer ; toute la surface de cette île prit ensuite l’apparence d’un nuage obscur ; enfin elle commença à disparaître sous l’eau. À l’instant où l’on ne voyait plus que le sommet des montagnes, l’amiral et ses compagnons privilégiés étaient assemblés sur la dunette pour examiner le temps et la mer. L’observateur le moins attentif aurait remarqué en ce moment la différence qui