Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/309

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noble amiral, nous ne pouvons être bien loin de Cipango en ce moment.

— Les calculs peuvent le faire paraître ainsi, mais je doute qu’ils soient justes. L’erreur ordinaire des pilotes est de se trouver plus avancés qu’ils ne le supposent d’après les calculs, mais je crois qu’en cette occasion le contraire est arrivé. Cipango est à plusieurs journées du continent de l’Asie, et par conséquent cette île ne peut être très-loin de l’endroit où nous sommes ; mais les courants ont été contraires, et je doute que nous en soyons aussi près que vous et vos compagnons vous vous l’imaginiez. Renvoyez-moi cette carte ; j’y tracerai notre position actuelle, et nous pourrons voir tous si nous avons sujet de nous décourager ou de nous réjouir.

Pinzon prit la carte, la roula avec soin, y joignit un petit poids, et attachant le tout au bout d’une ligne de loch, il le jeta à bord de la Santa-Maria, de la même manière qu’on jette la sonde, ce qui fut très-facile, tant les deux bâtiments étaient près l’un de l’autre. La Pinta, déployant alors une ou deux voiles de plus, prit peu à peu l’avance sur les deux autres, cette caravelle continuant d’être la meilleure voilière, surtout quand le vent était léger.

Colomb étendit cette carte sur une table placée sur la dunette, et invita tous ceux qui le voudraient à s’en approcher pour voir de leurs propres yeux l’endroit précis de l’Océan où il croyait son escadre en ce moment. L’amiral y avait marqué avec trop d’exactitude le chemin fait chaque jour, en diminuant seulement le calcul des distances, pour ne pas réussir à montrer à son équipage, aussi exactement que possible, sous quels degrés de longitude et de latitude les bâtiments se trouvaient alors. Et comme cet endroit se trouvait près des îles qu’on croyait à l’est du continent de l’Asie, cette preuve palpable du chemin déjà parcouru produisit plus d’impression sur l’esprit des matelots que n’aurait pu le faire aucune démonstration fondée sur des raisonnements abstraits, quand même ils auraient été basés sur des prémisses incontestables : car la plupart des hommes se soumettent plus aisément au témoignage de leurs sens qu’à l’influence du raisonnement. Aucun matelot ne songea à demander comment il était prouvé que l’île de Cipango se trouvait réellement à l’endroit où elle était marquée sur la carte ; mais, l’y voyant figurer en noir et en blanc, tous furent disposés à croire qu’elle devait réellement