Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/312

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d’effet que la parole écrite ; et l’éloge ou le blâme qui entre par une oreille pour sortir par l’autre, pourrait faire une forte impression s’il parvenait à l’esprit par l’intermédiaire des yeux. Ainsi ceux des matelots qui ne pouvaient comprendre les raisonnements de Colomb s’imaginaient qu’ils comprenaient sa carte, et croyaient assez facilement que des îles et des continents devaient exister dans les endroits où ils les voyaient si bien dessinés.

Après cette opération, la gaieté reprit le dessus à bord de la Santa-Maria, et Sancho, qu’on regardait généralement comme un des partisans de l’amiral, eut à répondre à bien des questions de ses camarades qui désiraient avoir des explications plus détaillées sur quelques points relatifs à la carte qu’ils venaient de voir.

— Sancho, lui demanda l’un d’eux, qui venait de passer tout à coup du découragement à l’extrémité contraire, crois-tu que l’île de Cipango soit aussi grande que l’amiral l’a faite sur sa carte ? Qu’elle existe où il l’a placée, il ne faut que des yeux pour le voir, car elle paraît tout aussi naturelle que l’île de Fer ou celle de Madère.

— Oui, sans doute, répondit Sancho d’un ton positif, et l’on peut le voir à sa forme. N’y as-tu pas remarqué des caps, des baies et des promontoires, aussi clairement que sur toutes les côtes que nous connaissons ? Ah ! ces Génois sont d’habiles navigateurs ; et le señor Colon, notre noble amiral, n’est pas venu de si loin sans savoir dans quelle rade de cette île il jettera l’ancre.

Les esprits les plus bornés de l’équipage trouvaient de grandes consolations dans des arguments si concluants, et il ne se trouvait pas un seul matelot qui n’espérât avec plus de confiance que le voyage se terminerait heureusement, depuis que ses yeux avaient vu ce qui lui paraissait une preuve sans réplique de l’existence de la terre dans cette partie de l’Océan.

Lorsque la conversation entre l’amiral et Pinzon fut terminée, la Pinta, qui était déjà à une cinquantaine de toises en avant de la Santa-Maria, s’en éloigna un peu plus, quoique aucun de ces deux bâtiments ne filât guère plus d’un nœud par heure. Tout à coup, et tandis que les matelots s’entretenaient encore des nouvelles espérances auxquelles ils se livraient, un cri qui s’éleva à bord de la Pinta attira tous les yeux vers ce bâtiment. Pinzon était debout sur l’arrière, agitant son chapeau en l’air, et donnant tous les signes d’un transport de joie.