Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Terre ! Señor, terre ! s’écria-t-il ; je réclame ma récompense. Terre ! terre !

— De quel côté, Martin Alonzo ? demanda Colomb avec un empressement qui rendait sa voix tremblante ; — de quel côté apercevez-vous une vue si heureuse ?

— Là — au sud-ouest, répondit Pinzon en étendant un bras de ce côté. On voit une chaîne sombre de nobles montagnes qui promettent de satisfaire les pieux désirs du saint-père lui-même.

Tous les yeux se tournèrent vers le sud-ouest, et chacun crut y trouver la preuve si désirée du succès de l’expédition. On voyait à l’horizon une masse, couverte de vapeurs, — dont les contours, sans être bien distincts, étaient plus marqués que ne le sont ordinairement les nuages, mais si confuse, qu’il fallait un œil bien exercé pour la saisir au milieu de l’obscurité du vide. C’est ainsi que la terre se montre souvent aux marins, quand l’atmosphère se trouve dans un certain état qui ne permet que rarement aux yeux des autres de la distinguer. Colomb connaissait si bien tous les phénomènes de l’Océan, qu’après que chacun eut jeté un coup d’œil sur le point de l’horizon indiqué, tous les regards se fixèrent sur lui pour savoir quelle serait son opinion. Il était impossible de se méprendre à l’expression de la physionomie de l’amiral, qui devint sur-le-champ radieuse de plaisir et animée d’un enthousiasme religieux. Se découvrant la tête, il leva vers le ciel des yeux pleins d’une reconnaissance sans bornes, et tomba ensuite à genoux pour rendre publiquement des actions de grâces à Dieu. C’était le signal du triomphe, et cependant, dans la situation où se trouvaient nos marins, un sentiment de triomphe n’était pas celui qui dominait parmi eux. De même que Colomb, ils sentaient qu’ils étaient dans la main de Dieu, et la reconnaissance s’empara simultanément de tous les cœurs. À bord des trois bâtiments, tous se mirent à genoux en même temps, et entonnèrent en chœur ce chant sublime : Gloria in excelsis Deo ! la voix de la reconnaissance envers le ciel s’élevant ainsi pour la première fois depuis la création du monde dans la vaste solitude de l’Océan. Il est vrai qu’à cette époque on était dans l’usage, sur la plupart des bâtiments chrétiens, de célébrer les offices du matin et du soir ; dans la circonstance actuelle ce chant sublime se faisait entendre pour la première fois sur des vagues qui depuis tant de siècles, dans leur fureur comme dans leur calme, chan-