Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

route favorite, c’est-à-dire ce qu’il croyait être le vrai ouest. Lorsque la nuit tomba, les trois bâtiments prirent donc cette route, avançant à raison de neuf milles par heure, et suivant l’astre du jour comme s’ils eussent été résolus à pénétrer dans les mystères de sa retraite nocturne, jusqu’à ce que quelque grande découverte récompensât leurs efforts.

Immédiatement après ce changement de route, l’équipage chanta l’hymne du soir, ce qu’on différait souvent, sur cette mer calme, jusqu’au moment où le quart qui venait d’être relevé allait chercher ses hamacs. Cependant personne, cette nuit-là, ne songeait à dormir, et il était tard quand nos marins commencèrent à chanter le Salve Regina. Ce chant religieux, mêlé aux soupirs de la brise et au clapotage des vagues dans la solitude de cet océan, avait quelque chose de solennel qu’augmentait encore l’attente de nos aventuriers, qui espéraient à chaque instant voir se lever le rideau qui cachait encore tant de mystères. Jamais cette hymne n’avait eu tant de mélodie pour les oreilles de Colomb, et elle fit venir les larmes aux yeux de Luis en lui rappelant les accents attendrissants de la voix de Mercédès quand elle élevait son âme à Dieu à la même heure. Lorsque l’office du soir fut terminé, l’amiral fit avancer tout l’équipage au bas de la dunette, et lui parla ainsi :

— Je suis charmé, mes amis, de vous avoir entendus chanter l’hymne du soir avec un tel esprit de dévotion, dans un moment où vous avez tant de motifs pour rendre grâces à Dieu des bontés qu’il a eues pour nous pendant tout le cours de ce voyage. Jetez les yeux sur le passé, et voyez si aucun de vous, même le plus vieux marin, peut se souvenir d’avoir fait aucun voyage sur mer, je ne dirai pas de la même longueur quant à la distance parcourue, — car aucun de vous n’en a jamais entrepris un semblable, — mais qui ait duré un même nombre de jours, et dans lequel les vents aient été constamment aussi favorables, le temps aussi propice, et la mer aussi calme que dans celui-ci. — Combien de signes encourageants Dieu ne nous a-t-il pas donnés pour nous inspirer un esprit de persévérance ! Il est au milieu de cet océan, mes amis, aussi bien que dans ses sanctuaires terrestres. Il nous a, en quelque sorte, conduits jusqu’ici pas à pas, tantôt nous envoyant des oiseaux à travers les airs, tantôt remplissant la mer de poissons hors de leurs parages ordinaires, et quelquefois étendant devant nous des champs d’herbes marines qu’on trouve