Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/338

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rarement loin des rochers qui les voient naître. De tous ces signes, les derniers et les plus sûrs sont ceux qu’il nous a donnés aujourd’hui. Mes calculs sont d’accord avec eux ; et je crois très-probable que nous aurons la terre en vue cette nuit même. Dans quelques heures, ou quand nous serons arrivés à la distance que l’œil peut apercevoir à l’aide du peu de lumière qui nous reste, je regarderai comme prudent de diminuer de voiles, et je vous invite tous à la surveillance, de peur que nous ne venions à échouer sur une côte inconnue. Vous savez que nos souverains ont promis une récompense de dix mille maravédis de pension viagère à celui qui découvrira le premier la terre ; moi j’y ajouterai un pourpoint de velours, digne d’être porté par un grand d’Espagne. Ne dormez donc pas, mais, dès la première heure du jour, soyez vigilants et attentifs. Je vous parle très-sérieusement ; je m’attends avoir la terre au premier rayon du soleil.

Ces paroles encourageantes produisirent un effet complet. Les matelots se dispersèrent sur tout le bâtiment, et chacun d’eux prit la position qu’il crut la meilleure pour gagner la récompense promise. Une vive attente est toujours un sentiment tranquille, les sens inquiets semblant exiger le silence et la concentration pour avoir leur pleine liberté d’action. Colomb resta debout sur la dunette. Luis, prenant moins d’intérêt à l’apparition de la terre, se jeta sur une voile, et employa ses instants à songer à Mercédès, et à se figurer l’heureux moment où il la reverrait, après avoir réussi dans cette aventure, et avec tous les honneurs du triomphe.

Un silence aussi profond que celui de la mort régnait à bord de la Santa-Maria et augmentait la vive sollicitude qui s’était emparée de tous les esprits. À la distance d’un mille en avant, la Niña voguait à pleines voiles, tandis que plus loin encore, et à une demi-heure de marche de celle-ci, on entrevoyait à peine les contours de la Pinta, qui meilleure voilière que les deux autres profitait de la brise. Sancho avait fait sa ronde pour examiner chaque voile et chaque vergue, et jamais le bâtiment amiral n’avait suivi de si près les deux autres que cette nuit-là. Les trois navires semblaient animés du même esprit d’impatience que les êtres qu’ils portaient, et paraissaient vouloir se surpasser. Dans certains moments, c’est-à-dire lorsque le vent murmurait dans les cordages, les matelots tressaillaient comme s’ils eussent entendu des voix inconnues et étrangères partant d’un monde mys-