Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/344

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triomphe briller dans ses yeux, et des transports de joie intérieure se peindre sur son visage.

— Ces braves gens sont aussi inconstants dans leurs craintes qu’extrêmes dans les transports de leur joie, dit Colomb à Luis quand ils se furent retirés de la foule. — Hier, ils m’auraient volontiers jeté à la mer, et aujourd’hui ils semblent disposés à oublier Dieu lui-même pour une de ses indignes créatures. Ne remarquez-vous pas que ceux qui nous ont causé le plus d’inquiétude par leur mécontentement, sont à présent ceux dont les applaudissements sont le plus bruyants ?

— Telle est la nature humaine, Señor ; ils passent d’une frayeur panique à une joie inconsidérée. Ces drôles s’imaginent vous donner des éloges, tandis que le fait est qu’ils se réjouissent d’avoir échappé à des malheurs inconnus qu’ils redoutaient. Nos amis Sancho et Pépé ne paraissent pas agités des mêmes sensations, car le dernier s’occupe à cueillir des fleurs qui croissent sur cette côte de l’Inde, et le premier regarde autour de lui avec un sang-froid louable, comme s’il calculait la longitude et la latitude des doublons du Grand-Khan.

Colomb sourit, et s’avança avec Luis vers ces deux marins qui étaient à quelque distance de leurs camarades. Sancho avait les mains enfoncées dans son pourpoint, et regardait le pays avec le sang-froid d’un philosophe. Ce fut de lui que Colomb s’approcha d’abord.

— Comment donc, Sancho de la Porte du Chantier, lui dit-il, tu regardes cette scène glorieuse aussi froidement que tu regarderais une rue de Mogner ou un champ de l’Andalousie.

— Señor don amirante, c’est la même main qui a fait tout cela. Cette île n’est pas la première où j’aie débarqué, et ces sauvages qui sont là-bas ne sont pas les premiers hommes que j’aie vus ne portant pas un pourpoint écarlate.

— Mais n’éprouves-tu pas de la joie de notre succès ? — de la reconnaissance envers Dieu pour cette grande découverte ? Songe que nous sommes sur les lisières de l’Asie, et cependant nous y sommes arrivés en marchant à l’ouest.

— Quant à ce dernier fait, Señor, c’est une vérité dont je puis faire serment, puisque j’ai eu le gouvernail entre les mains une bonne partie du chemin. Mais croyez-vous, señor don amirante, que nous soyons arrivés assez loin dans cette direction pour nous