Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/348

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fait une apologie, et se mit à rouler ces feuilles de manière à en faire ce qu’on appelait dans la langue du pays « un tabac, » c’est-à-dire une espèce de cigare, qu’il offrit ensuite au marin. Sancho accepta le présent, fit un signe de tête avec un air de condescendance, répéta le même mot de son mieux, et mit le tabac dans sa poche. Ce mouvement causa évidemment de la surprise aux naturels, et après une courte consultation, l’un d’eux alluma le bout d’un rouleau de ces feuilles, et mit l’autre extrémité dans sa bouche, et à sa grande satisfaction autant qu’à celle de tous ceux qui l’entouraient, commença à lancer des nuages de fumée odoriférante. Sancho voulut limiter, mais il lui arriva ce qui arrive à tous ceux qui sont novices dans cet art, c’est-à-dire qu’il alla rejoindre ses compagnons en chancelant, pâle comme un preneur d’opium, et tourmenté de nausées telle qu’il n’en avait pas éprouvé depuis le jour où il avait passé la barre de Saltes pour voguer sur l’océan Atlantique.

Cette petite scène pourrait s’appeler l’introduction de l’herbe américaine, aujourd’hui si connue dans la société civilisée ; les Espagnols ayant, par méprise, donné à la plante le nom que les naturels donnaient à ses feuilles roulées. Sancho de la Porte du Chantier fut donc le premier chrétien qui fuma du tabac, talent dans lequel il eut bientôt des rivaux dans quelques-uns des plus grands hommes de son siècle, et qui se perpétua jusqu’au nôtre.

Après le retour de ses agents, Colomb remit à la voile, et suivit la côte septentrionale de Cuba. Pendant qu’il luttait contre les vents alisés pour avancer à l’est, il trouva le vent trop fort, et résolut de gagner un port de l’île de Cuba, qu’il avait nommé Puerto del Principe. Dans cette vue, il fit un signal pour rappeler la Pinta qui était assez loin au vent ; et comme la nuit approchait, on alluma des lanternes pour mettre Martin Alonzo en état de se rapprocher de son commandant. Le lendemain au point du jour, Colomb monta sur la dunette, jeta un coup d’œil autour de lui, et vit la Niña sous le vent, mais ne put apercevoir l’autre caravelle.

— Personne n’a-t-il vu la Pinta ? demanda-t-il à Sancho qui était au gouvernail.

— Je l’ai vue distinctement, Señor, aussi longtemps que des yeux peuvent suivre un bâtiment qui cherche à se mettre hors de vue. Martin Alonzo a disparu du côté de l’est pendant que nous