Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/366

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me trouveront aussi prêt qu’ils peuvent l’être à donner rien pour rien.

— Est-il bien honnête, Sancho, de dépouiller un Indien de son or en lui donnant en échange une babiole qu’on peut se procurer si facilement pour un peu de cuivre ? Souviens-toi que tu es Castillan, et désormais paie deux grelots ce que tu ne payais qu’un seul jusqu’ici.

— Je n’oublie jamais ma naissance, Señor, car heureusement le chantier de Moguer est dans la vieille Espagne. — La valeur d’un objet ne doit-elle pas être déterminée par le prix qu’on en trouve sur le marché ? Interrogez le premier venu de nos commerçants, et il vous dira la même chose, car cela est aussi clair que le soleil dans le ciel. Quand les Vénitiens assiégeaient Candie, les raisins, les figues et les vins grecs ne coûtaient dans l’île que la peine de les demander, et l’on pouvait y vendre au poids de l’or les denrées de l’Occident. Oh ! chaque chose a son prix, rien n’est plus clair que ce fait, et le véritable esprit du commerce consiste à donner une chose sans valeur pour une qui a plus de prix.

— Si c’est être honnête que de profiter de l’ignorance d’un autre, dit Luis qui avait pour le commerce tout le mépris digne d’un noble, il est donc juste de tromper un enfant et un idiot ?

— À Dieu ne plaise ! et surtout à saint André, mon patron, que je fasse rien de si honteux, Señor. Les grelots à faucon sont plus précieux que l’or à Haïti ; et comme il se fait que j’en suis instruit, je suis disposé à échanger ces choses précieuses contre ce qu’on y regarde comme de la boue. Vous voyez que je suis généreux, et non intéressé, car les deux parties sont à Haïti, et c’est là que la valeur des objets à échanger doit être déterminée. Il est vrai qu’après avoir couru de grands risques sur mer, et subi de grandes fatigues pour transporter cet or en Espagne, je puis me trouver récompensé de mes peines et avoir de quoi vivre en réalisant mes bénéfices. J’espère que doña Isabelle prendra assez d’intérêt à ses nouveaux sujets pour leur interdire tout commerce maritime, ce qui est un métier laborieux et plein de danger, comme vous et moi nous le savons fort bien, Señor.

— Et pourquoi désires-tu si particulièrement, Sancho, obtenir cette faveur pour ces pauvres insulaires, et cela aux dépens de tes propres os ?

— Simplement, Señor, répondit le drôle en clignant de l’œil