Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/367

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d’un air malin, parce que je craindrais que leurs expéditions sur mer ne vinssent désorganiser le commerce, qui doit être libre et sans entraves autant que possible. — Si, nous autres Espagnols, nous venons à Haïti, chaque grelot que nous y apportons vaut un doublon ; mais si nous donnons à ces sauvages la peine de venir en Espagne, un seul de leurs doublons y achètera cent grelots. — Non, non. Les choses sont bien comme elles sont ; et puisse une double ration de purgatoire être le partage de celui qui voudra entraver un commerce libre, utile, honnête et civilisateur.

Sancho expliquait ainsi à don Luis ses idées sur la liberté du commerce ; grand cheval de bataille des philanthropes modernes, quand ils entendirent partir du village un cri tel qu’on ne peut en entendre que dans des moments de terreur soudaine et d’extrême danger. La conversation que nous venons de rapporter avait lieu dans la vallée, à peu près à mi-chemin entre le village et ce que nous avons appelé le sérail de Mattinao ; et les deux Espagnols avaient une confiance si entière en leurs nouveaux amis, qu’ils étaient sans autres armes que celles que leur avait données la nature. En sortant, Luis avait laissé son sabre et son bouclier aux pieds d’Ozéma, qui essayait de s’en servir en jouant le rôle de héros pour leur amusement mutuel ; et Sancho, trouvant son arquebuse trop lourde pour la porter partout avec lui comme on porterait une badine, l’avait déposée dans l’appartement qui était devenu son quartier-général.

— Serait-ce une trahison, Señor ? s’écria Sancho. — Ces drôles auraient-ils découvert, après tout, quelle est la véritable valeur des grelots à faucon ? — Ont-ils dessein de réclamer la balance de leur compte avec moi.

— Je réponds sur ma vie de la bonne foi de Mattinao et de toute sa peuplade. Ce tumulte vient d’une cause différente. — Écoute ! n’entends-tu pas ce cri : Caonabo ?

— C’est cela même, Señor. — C’est le nom du cacique caraïbe qui est la terreur de toutes ces tribus.

— Ton arquebuse, si tu peux la retrouver, Sancho, et viens ensuite me rejoindre là-haut sur le tertre. — Il faut, à tout risque, que nous défendions la sœur et les femmes de notre ami.

À ces mots, Luis et Sancho se séparèrent. Le premier courut au village, qui offrait alors une scène de tumulte et de confusion ; le second retourna d’un pas plus lent vers les maisons pla-