Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/369

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sans être vu, et le bruit des cris et des lamentations annonçait que le danger devenait plus imminent. S’approchant donc de la jeune fille, Luis lui enveloppa un bras avec l’étoffe du turban, afin qu’elle pût, au besoin, l’opposer comme un bouclier aux flèches des ennemis. Tandis qu’il s’occupait de ce soin, la poitrine du jeune Espagnol servait d’appui à la tête d’ozéma, dont les pleurs commencèrent enfin à couler. Mais ce signe de faiblesse ne dura qu’un instant ; elle reprit courage, un sourire brilla à travers ses larmes, elle serra le bras de Luis comme par un mouvement convulsif ; et redevenant une héroïne indienne, elle le suivit hors de l’habitation.

Luis eut bientôt reconnu qu’il n’avait point battu en retraite un instant trop tôt. Toute la famille de Mattinao était déjà dispersée, et une troupe nombreuse d’ennemis s’avançait en silence dans la vallée pour venir s’emparer de leur proie. Il sentit Ozéma, toujours appuyée sur son bras, trembler violemment, et il entendit murmurer :

— Caonabo ! non, non, non !

La jeune princesse haïtienne avait appris le monosyllabe espagnol qui exprime en même temps la négation, le refus et la répugnance, et Luis interpréta cette exclamation comme exprimant une forte résolution de ne jamais devenir la femme du chef caraïbe. Sa détermination de la protéger ou de mourir ne fut nullement affaiblie par cet aveu involontaire de ses sentiments, aveu qu’il ne put s’empêcher de regarder comme ayant quelque rapport à lui-même ; car, quoique plein d’honneur et de générosité, Luis était disposé à penser favorablement de ses moyens de plaire ; et ce n’était qu’en ce qui concernait Mercédès qu’il devenait humble.

Soldat presque depuis son enfance, le jeune comte regarda à la hâte autour de lui pour trouver une position dans laquelle il pût se défendre et se servir de ses armes le plus efficacement possible. Heureusement, il en trouva une si près de là, qu’il ne lui fallut qu’une minute pour l’occuper. Le tertre s’appuyait contre des rochers escarpés ; et, à une centaine de pas de la demeure d’Ozéma, la façade de ces rochers formait un angle rentrant dont les deux côtés s’avançaient comme une muraille à droite et à gauche, jusqu’à une certaine distance, tandis qu’une saillie du rocher en couvrait suffisamment la base pour mettre à l’abri des pierres