Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/386

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ce que l’amiral avait vu. La lettre était adressée à Ferdinand et à Isabelle. Dès que les deux écrits furent terminés, l’amiral enveloppa soigneusement sa missive de toile cirée, Luis suivant en tout son exemple ; ils prirent ensuite un gros pain de cire, le creusèrent, et introduisirent le paquet dans l’intérieur, dont ils fermèrent l’ouverture avec une partie de la cire qui avait été enlevée. Colomb fit alors venir le charpentier et lui ordonna d’enfermer chaque pain de cire dans un baril séparé : on n’en manque jamais sur un bâtiment, et au bout de quelques minutes, les deux lettres se trouvèrent en sûreté dans des barils vides ; l’amiral et notre héros en prirent chacun un et montèrent sur le pont. La nuit était si terrible, que personne n’avait songé au sommeil ; presque tout l’équipage de la Niña, matelots et officiers, étaient rassemblés près du grand mât, seul endroit où, à l’exception de places plus privilégiées encore, ils se crussent à l’abri d’être enlevés par les lames. À la vérité, on y était continuellement couvert par l’eau de la mer, et la dunette elle-même n’était pas exempte de cette visite importune.

Aussitôt que l’amiral parut, tous l’entourèrent, empressés de savoir ce qu’il pensait et ce qu’il se proposait de faire. Dire la vérité, c’eût été jeter le désespoir dans des âmes où l’espérance avait presque déjà cessé d’exister ; Colomb déclara simplement qu’il accomplissait un vœu religieux, et de sa propre main il lança son baril dans l’Océan furieux. Celui de Luis fut placé sur la dunette, dans l’espoir qu’il surnagerait si la caravelle coulait à fond.

Trois siècles et demi se sont écoulés depuis la sage précaution prise par Colomb, et jamais on n’a entendu parler de ce baril. Sa légèreté était telle qu’il pourrait continuer à flotter pendant des siècles ; couvert de barnaches, peut-être vogue-t-il encore sur la vaste étendue des mers, plein de ses grandes révélations. Il se peut que, jeté bien des fois sur une plage sablonneuse, une autre vague l’en ait ensuite emporté. Il est possible que différents bâtiments l’aient vu passer un million de fois près d’eux, et l’aient confondu avec ces tonneaux qu’un voit si souvent aller à la dérive sur l’Océan. Si on l’avait trouvé, on l’aurait ouvert ; et s’il fût tombé entre les mains d’un homme civilisé, il est presque impossible qu’un document aussi intéressant n’eût excité aucune attention.

Ce devoir rempli, l’amiral eut le loisir de jeter les yeux autour