Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/423

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pagne ne fit plus d’honneur à son nom et à son lignage, par la noblesse de sa tournure et par sa bonne mine, que le jeune comte de Llera. Pendant la cérémonie Isabelle le regarda en souriant ; mais les observateurs attentifs à qui fut due cette remarque secouèrent la tête en voyant l’air de gravité extraordinaire de la favorite de la reine, dans une occasion si joyeuse, ce qu’ils attribuèrent aux goûts ignobles de son neveu. Personne, ce jour-là, ne regarda Luis avec plus de plaisir que Sancho, resté à Barcelone pour jouir des honneurs rendus à son chef, et à qui, en considération de ses services, on avait accordé une place parmi les courtisans. L’usage qu’il faisait de la nouvelle herbe nommée tabac ne causa pas peu de surprise, et quinze ou vingt personnes qui voulurent l’imiter n’y gagnèrent que des nausées. Un de ses exploits fut d’un genre si extraordinaire, et peint si bien l’engouement du jour, que nous le rapporterons en détail.

La cérémonie de la réception était terminée, et Sancho se retirait avec le reste de la foule, quand il fut accosté par un homme d’environ quarante ans, bien vêtu, et ayant des manières agréables, qui le pria d’honorer de sa présence un petit banquet, car on en avait préparé plusieurs pour Colomb et ses amis. Sancho, pour qui le plaisir de recevoir des marques de distinction était encore tout nouveau, ne se fit pas presser pour accepter, et il fut conduit dans un appartement du palais, où il trouva une vingtaine de jeunes seigneurs qui s’étaient réunis pour lui faire honneur ; car heureux était à Barcelone celui qui ce jour-là pouvait faire accepter ses attentions au dernier des compagnons de Colomb. Dès qu’ils furent arrivés, les jeunes seigneurs se groupèrent autour deux, prodiguèrent à Sancho les manques de considération, et adressèrent en même temps une douzaine de questions à son introduteur qu’ils appelaient señor Pédro — señor Martir, — et quelquefois señor Pédro Martir. Il est inutile de dire que c’était l’historien connu de notre temps sous le nom de Pierre Martir, Italien aux soins duquel Isabelle avait confié l’instruction de la plupart des jeunes seigneurs de sa cour. C’était pour satisfaire leur curiosité que le banquet avait été préparé, et l’invitation avait été faite à Sancho d’après le principe que, lorsqu’on ne peut se procurer ce qu’il y a de mieux dans quelque genre que ce soit, il faut se contenter de la qualité inférieure.

— Félicitez-moi, Señores, dit Pierre Martir dès qu’il lui fut possible de parler, car mon succès a surpassé mes espérances. Le