Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/439

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jeune Indienne est-elle donc assez parfaite pour que votre pupille puisse la redouter ou lui porter envie ? Je ne croyais pas qu’il pût exister une créature semblable.

— Votre Altesse sait ce que sont les hommes : ils aiment la nouveauté, et la figure la plus nouvelle est celle qui leur plaît le plus sûrement. — Par saint Jacques ! Andrés de Cabréra me l’a bien appris ! Mais ce serait un crime de supposer que personne eût pu donner une telle leçon à Isabelle de Transtamare.

— Réprimez des mouvements trop vifs et trop impétueux, marquise ma fille, dit la reine en jetant un coup d’œil sur Mercédès, dont la tête était complètement cachée sous les plis de sa robe ; lorsque le cœur se laisse aller à une trop grande sensibilité, il est rare que la vérité ne soit pas obscurcie. Don Andrés est un sujet loyal, il rend justice à votre mérite ; quant au roi, songez qu’il est le père de mes enfants et votre souverain. — Mais cette Ozéma, puis-je la voir ?

— Vous n’avez qu’à commander, Señora, pour voir qui bon vous semble. Elle est ici près, et elle peut vous être amenée dès qu’il plaira à Votre Altesse de l’ordonner.

— Non, Béatrix ; puisqu’elle est princesse, et étrangère en ce royaume, des égards sont dus à son rang et à sa position. Que doña Mercédès aille la préparer à nous recevoir ; j’irai la voir dans son appartement. Il est bien tard, mais elle excusera le manque de cérémonie, en considération du désir que j’ai de lui être utile.

Mercédès n’attendit pas un second ordre : se relevant aussitôt, elle se hâta d’accomplir le désir de la reine. Restées ensemble, Isabelle et la marquise gardèrent le silence pendant quelques minutes. La reine, comme cela convenait à son rang, le rompit la première :

— Il est très-étonnant, Béatrix, que Colomb ne m’ait point parlé de cette princesse. On n’aurait pas dû laisser entrer en Espagne une personne de son rang avec si peu de cérémonie.

— L’amiral, la regardant sans doute comme l’objet spécial des attentions de Luis, a laissé à mon perfide neveu le soin de la présenter à Votre Altesse. Ah, Señora ! n’est-il pas inconcevable qu’une jeune fille telle que Mercédès ait pu être si promptement supplantée par une créature d’une telle simplicité, non baptisée, plongée dans les ténèbres, à laquelle l’Église n’a jamais