Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/453

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ne tenaient les autres que de Dieu seul. Sous ce point de vue, je suis disposée à considérer cette jeune Indienne comme plus que noble, et j’ai donné ordre qu’elle soit traitée en conséquence. Il ne vous reste qu’à me faire part des circonstances par suite desquelles nous la voyons en Espagne.

— Don Luis pourrait vous en instruire mieux que moi, Señora, car il les connaît parfaitement.

— Je voudrais en entendre le récit de votre propre bouche, Señor. Je connais déjà l’histoire du comte de Llera.

Colomb parut surpris et peiné, mais il n’hésita point à obéir à la reine.

— Il existe à Haïti, Votre Altesse, des princes, ou caciques, de premier et de second rang. Ceux-ci rendent aux premiers une sorte d’hommage, et leur doivent une espèce d’allégeance…

— Vous voyez, marquise ma fille, que c’est l’ordre naturel de tout gouvernement, et il se trouve dans l’Orient aussi bien que dans l’Occident.

— Guacanagari, dont j’ai déjà souvent parlé à Votre Altesse, est un des caciques du premier rang ; et Mattinao, frère de cette jeune Indienne, est du second. — Don Luis a rendu une visite au cacique Mattinao, et il était chez lui lors d’une incursion que vint faire Caonabo, célèbre chef caraïbe qui voulait avoir Ozéma pour femme. Le comte de Llera se comporta en brave chevalier castillan, mit l’ennemi en déroute, et amena en triomphe Ozéma à bord de nos bâtiments. Là il fut décidé qu’elle viendrait en Espagne, tant pour jeter plus de lustre sur le triomphe des deux couronnes, que pour la mettre à l’abri, pendant un certain temps, des tentatives de Caonabo, qui est un chef trop puissant et trop belliqueux pour que la douce et pacifique tribu de Mattinao puisse lui résister.

— Fort bien, Señor, c’est ce que j’avais déjà entendu dire. Mais pourquoi Ozéma n’a-t-elle point paru au milieu de votre cortège, lors de votre réception publique ?

— Don Luis l’a désiré ainsi, Señora ; et j’ai consenti qu’il partît avant moi de Palos, emmenant la jeune princesse indienne, pour nous rejoindre à Barcelone. Nous pensâmes l’un et l’autre que la doña Ozéma était trop au-dessus de ses compagnes et compagnons, pour être donnée en spectacle à des yeux vulgaires.

— Il y avait de la délicatesse, sinon de la prudence, dans cet arrangement, dit la reine d’un ton un peu sec. — Et alors Ozéma