Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/464

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l’avouer. Je n’ai donc pas cru un seul instant que vous eussiez épousé la princesse.

— Pourquoi donc détourniez-vous de moi ces regards pleins de froideur ? Pourquoi baissiez-vous à terre ces yeux qui auraient dû échanger avec les miens ces regards qui font les délices de l’amour ? Pourquoi ces manières qui, si elles n’indiquaient pas une aversion décidée, manifestaient du moins une réserve et une indifférence que je ne croyais jamais devoir exister entre nous ?

Mercédès changea de couleur ; elle fut une minute sans lui répondre ; et pendant ce court intervalle, elle douta qu’elle fût en état d’exécuter son projet. Cependant elle rappela tout son courage, et reprit son discours sur le même ton qu’elle l’avait commencé :

— Écoutez-moi, don Luis ; mon histoire ne sera pas longue. Quand vous avez quitté l’Espagne, d’après ma suggestion, pour entreprendre ce grand voyage, vous m’aimiez ; — nul pouvoir sur la terre ne peut me priver de ce souvenir délicieux. — Oui, vous m’aimiez alors, et vous n’aimiez que moi. Nous nous séparâmes en nous donnant notre foi l’un à l’autre ; et, pendant votre absence, il ne s’est pas écoulé un seul jour où je n’aie passé plusieurs heures à genoux, à prier le ciel pour l’amiral et pour ses compagnons.

— Chère Mercédès, il n’est pas surprenant que le succès ait couronné nos efforts ; une pareille intercession ne pouvait manquer d’être entendue.

— Je vous prie de m’écouter, Señor. Jusqu’au jour qui apporta la nouvelle de votre retour, nulle femme en Espagne ne peut avoir eu plus d’inquiétude pour celui en qui elle avait placé toutes ses espérances, que je n’en ai éprouvé pour vous. Mais si, à mes yeux, le présent était chargé de crainte et d’incertitude, l’avenir se montrait brillant et plein d’espérance. Le messager envoyé à la cour par l’amiral me les ouvrit le premier aux réalités du monde, et me donna cette dure leçon, — leçon que la jeunesse n’apprend jamais qu’avec tant de lenteur, celle du désappointement. — Ce fut alors que j’entendis pour la première fois parler d’Ozéma, — de votre admiration pour sa beauté, — de la manière dont vous aviez été sur le point de sacrifier votre vie pour elle.

— Par saint Luc ! ce vagabond de Sancho a-t-il osé faire péné-