Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/474

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— Doña Béatrix m’a fait une proposition qui d’abord paraît assez plausible, mais que la réflexion n’admet pas. Elle avait le projet d’engager le comte à épouser Ozéma dès aujourd’hui (Mercédès tressaillit et devint pâle), — afin que les dernières heures de la jeune étrangère fussent adoucies par la joie d’être la femme de l’homme qu’elle idolâtre. Mais j’ai trouvé des objections sérieuses à ce projet. Quelle est ton opinion, ma fille ?

— Señora, si je pouvais croire aujourd’hui, comme je l’ai cru naguère, que Luis a pour la princesse une préférence capable de le conduire au bonheur que procure cette mutuelle affection sans laquelle le mariage est plutôt une malédiction qu’une félicité, je serais la dernière à élever aucune objection ; au contraire, je crois que je demanderais à genoux cette grâce à Votre Altesse ; car celle qui aime réellement désire avant tout le bonheur de l’objet de ses affections. Mais je suis assurée que le comte n’a pas pour Ozéma les sentiments nécessaires au mariage ; et ne serait-ce pas une profanation, Señora, de recevoir un sacrement de l’Église, de prononcer un vœu que le cœur ne sanctionnerait pas, ou plutôt contre lequel il se révolterait ?

— Excellente fille ! tes principes sont absolument les miens, et c’est dans ce sens que j’ai répondu à la marquise. On ne doit pas jouer avec les rites de l’Église, et nous sommes obligés, après tout, de nous soumettre aux afflictions qui nous sont infligées pour notre bonheur éternel, quoiqu’il soit souvent plus pénible de supporter celles des autres que les nôtres mêmes. Il ne te reste plus qu’à prononcer sur ce caprice d’Ozéma, et à nous dire si tu veux être mariée aujourd’hui, afin qu’elle soit baptisée.

Malgré le dévouement et l’amour de Mercédès pour notre héros, la jeune fille eut à soutenir une lutte violente avec ses principes habituels et sa délicatesse, pour prendre un parti aussi subit. Enfin les raisonnements de la reine prévalurent, car Isabelle sentait qu’une grande responsabilité pèserait sur elle si on laissait la jeune étrangère quitter ce monde sans être entrée dans le sein de l’Église. Aussitôt qu’elle eut reçu le consentement de Mercédès, la reine dépêcha un messager à la marquise, puis elle s’agenouilla auprès de sa jeune amie, et elles passèrent une heure ensemble dans les exercices spirituels usités en pareilles occasions. Puis ces deux femmes, si pures d’esprit et de cœur, sans songer aux vanités de la parure, mais pénétrées de la sainteté du devoir qu’elles venaient d’accomplir, se présentèrent à la