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OU LE TUEUR DE DAIMS.

— Les sauvages voudraient-ils laisser partir mon père, si Judith et moi nous leur donnions ce que nous avons de plus précieux ? demanda Hetty avec son air doux et innocent.

— Leurs femmes pourraient intervenir, bonne Hetty ; oui, leurs femmes pourraient intervenir, avec un tel motif en vue. Mais, dites-moi, Serpent, comment cela se passe-t-il avec les squaws[1] parmi ces bandits ? Ont-ils un grand nombre de leurs femmes dans le camp ?

Le Delaware entendit et comprit tout ce qui précède, quoiqu’il fût resté assis avec un air de gravité et de finesse indienne, la tête tournée d’un autre côté, et sans paraître prêter aucune attention à une conversation qui ne le concernait pas directement. Cependant, ayant été ainsi interpellé, il répondit à son ami du ton sentencieux qui lui était habituel. Six, dit-il en levant tous les doigts d’une main, et le pouce de l’autre, outre celle-ci. La dernière indiquait sa fiancée, qu’il avait représentée, avec la vraie poésie de la nature en appuyant la main sur son cœur.

— L’avez-vous vue, chef, avez-vous aperçu son aimable physionomie, ou vous êtes-vous approché assez près de son oreille pour y chanter la chanson qu’elle aime tant ?

— Non, Deerslayer ; les arbres étaient trop serrés, et les feuilles couvraient leurs branches comme les nuages qui voilent le ciel dans une tempête. Mais, — et le jeune guerrier tourna vers son ami son visage rouge empreint d’un sourire qui en illuminait la peinture et les traits naturellement sévères, de l’éclat brillant de la passion, — Chingachgook a entendu le rire de Wah-ta !-Wha, et il l’a distingué de celui des femmes des Iroquois. Il a retenti à son oreille comme le gazouillement du roitelet.

— Oui, fiez-vous à l’oreille d’un amant pour cela, et à l’oreille d’un Delaware pour tous les bruits qui se font entendre dans les bois. Je ne sais pourquoi il en est ainsi, Judith ; mais quand des jeunes gens, et j’ose dire qu’il en est sans doute de même des jeunes femmes, éprouvent de doux sentiments l’un pour l’autre, on ne saurait croire combien le rire ou le son de la voix de l’un plaît à l’autre. J’ai vu de farouches guerriers écouter le babil et les rires de jeunes filles, comme si c’eût été de la musique d’église, telle qu’on peut en entendre dans la vieille église hollandaise située dans la grande rue d’Albany, où je suis allé plus d’une fois avec des peaux et du gibier.

  1. Nom qu’on donne aux Indiennes.