Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
DEERSLAYER

d’abandonner le château pendant la nuit et de se réfugier dans l’arche. Cet expédient lui parut, ainsi qu’aux autres, le seul moyen d’échapper aux sauvages ; car, puisque ceux-ci avaient pensé à construire des radeaux, on ne pouvait douter qu’ils n’essayassent, tout au moins, de s’emparer de l’habitation, et l’envoi des baguettes ensanglantées prouvait assez la confiance qu’ils avaient dans le succès. Bref, le vieillard regarda la nuit comme critique, et il invita tous ses amis à se tenir prêts, le plus tôt possible, à abandonner le château temporairement du moins, sinon pour toujours.

Cette détermination prise, tout fut exécuté avec promptitude et intelligence : le château fut bien fermé de la manière indiquée plus haut ; les pirogues furent retirées du bassin, et amarrées à l’arche à côté de celle qui s’y trouvait déjà ; le peu d’objets nécessaires qui avaient été laissés dans la maison furent transportés dans la cabine, le feu fut éteint, et tous s’embarquèrent.

Le voisinage des collines avec leurs draperies de pins faisait que, sur le lac, les nuits obscures l’étaient encore plus qu’elles ne le sont naturellement. Cependant, comme à l’ordinaire, une ceinture de lumière, accrue par le contraste, s’étendait au centre de cette nappe d’eau, tandis que les ombres des montagnes tombaient pesantes et épaisses sur tous les bords du lac. Dans cette contrée, le vent d’ouest est celui qui domine sur les lacs ; mais, en raison des avenues formées par les montagnes, il est souvent impossible de déterminer la direction réelle des courants d’air, car ils varient fréquemment à des intervalles rapprochés de temps et de lieu. Cela est pourtant plus applicable aux légères bouffées d’air qu’aux brises constantes, quoique, comme chacun le sait, ces dernières mêmes, lorsqu’elles se changent en rafales, soient incertaines et irrégulières, dans tous les pays montagneux et sur des eaux resserrées. En cette occasion, Hutter lui-même, qui était occupé à éloigner l’arche de la station qu’elle avait occupée près de la plate-forme, fut embarrassé pour dire positivement de quel côté soufflait le vent. Ordinairement, cette difficulté était résolue par la marche des nuages, qui, flottant à une grande hauteur au-dessus du sommet des collines, obéissaient naturellement aux courants d’air ; mais en ce moment la voûte entière du ciel ressemblait à une masse de sombres murailles. On ne voyait aucune ouverture entre les nuages, et Chingachgook tremblait déjà que le défaut d’apparition de l’étoile n’empêchât sa fiancée d’être ponctuelle à son rendez-vous. Dans ces circonstances, Hutter établit sa voile, apparemment dans l’unique but de s’éloigner du château, dans le