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OU LE TUEUR DE DAIMS.

attention sur les avaries que ses charmes avaient souffertes dans sa lutte avec le jeune chasseur. Elles n’avaient rien d’alarmant, mais elles étaient de nature à exciter toute la rage d’une femme qui avait cessé depuis longtemps de se faire remarquer par sa douceur, et qui était disposée à se venger sur quiconque se trouverait en son pouvoir du mépris dont elle avait été si longtemps l’objet comme femme et mère de sauvages. Si les marques de sa lutte avec Deerslayer n’étaient pas indélébiles, elle en avait assez souffert momentanément pour en conserver un profond ressentiment, et elle n’était pas femme à pardonner un pareil outrage en faveur du motif.

— Excrément des Faces-Pâles ! s’écria cette furie courroucée, secouant le poing sous le nez de Deerslayer, vous n’êtes pas même une femme ! Vos amis les Delawares sont des femmes, et vous n’êtes que leur mouton. Votre peuple vous désavoue, et nulle tribu d’hommes rouges ne voudrait vous avoir dans ses wigwams ; vous vous cachez dans les rangs de guerriers en jupons. Vous vous vantez d’avoir tué le brave ami qui nous a quittés ! Non, sa grande âme a dédaigné de vous combattre, et a abandonné son corps plutôt que d’avoir la honte de combattre contre vous. Mais la terre n’a pas bu le sang que vous avez répandu pendant que son esprit vous méprisait trop pour songer à vous ; il faut qu’il soit essuyé par vos gémissements. Mais quels sons entends-je ? Ce ne sont pas les lamentations d’une Peau-Rouge ; nul guerrier rouge ne grogne comme un cochon. Ces sons partent du gosier d’une Face-Pâle, du sein d’un Anglais, et ils me sont aussi agréables que les chants des jeunes filles. Excrément du monde — chien — hérisson — cochon — crapaud — araignée — Anglais.

La vieille ayant épuisé son haleine et la liste de ses épithètes, fut obligée de s’interrompre un moment, quoiqu’elle continuât à agiter ses poings sous le menton du prisonnier, et que son visage ridé fût enflammé d’un ressentiment féroce. Deerslayer regardait ses efforts impuissants pour lui faire perdre son sang-froid, avec la même indifférence qu’un gentleman, parmi nous, entend les propos offensants d’un misérable fort au-dessous de lui : le jeune chasseur sentant que la langue d’une vieille femme ne doit pas émouvoir un guerrier, et le gentleman sachant que les mensonges et les propos grossiers ne peuvent nuire qu’à celui qui y a recours. Cependant Deerslayer fut préservé pour le moment d’une nouvelle attaque par l’intervention de Rivenoak, qui repoussa la sorcière en lui ordonnant de se retirer et s’avança vers le prisonnier. La vieille obéit ; mais le jeune chasseur comprit fort bien qu’elle saisirait toutes les