Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
269
OU LE TUEUR DE DAIMS.

donné ce nom ; — et la Rose-Sauvage ! le parfum n’en est-il pas assez doux pour qu’elle soit placée sur le sein de mon frère ?

Deerslayer avait trop de délicatesse naturelle pour dire la moindre chose qui pût nuire à la réputation d’une jeune fille qui ne pouvait se défendre ; et ne voulant ni dire ce qu’il pensait, ni faire un mensonge, il garda le silence. Le Huron se méprit sur les motifs du jeune chasseur, et supposa qu’un amour désappointé était la cause de sa réserve. Toujours déterminé à gagner ou à corrompre son prisonnier pour se mettre avec son aide en possession des trésors dont son imagination remplissait le château, il persista dans son attaque.

— Hawkeye parle à un ami ; il sait que Rivenoak est homme de parole, car ils ont trafiqué ensemble, et le trafic ouvre l’âme. Mon ami est venu ici parce qu’une jeune fille tenait une petite corde qui pouvait tirer à elle le corps du guerrier le plus robuste.

— Vous êtes plus près de la vérité, Huron, que vous ne l’avez été depuis le commencement de notre conversation. Oui, cela est vrai. Mais un bout de cette corde n’était pas attaché à mon cœur, et l’autre ne se trouvait pas entre les mains de la Rose-Sauvage.

— Cela est étonnant. L’amour de mon frère est-il dans sa tête et non dans son cœur ? L’Esprit-faible a-t-elle tiré si fort un guerrier si robuste ?

— Vous y voilà encore ! vous devinez quelquefois juste, et quelquefois vous vous trompez. La petite corde dont vous parlez est attachée au cœur d’un grand Delaware, d’un rejeton de la souche des Mohicans, qui vit avec les Delawares depuis la dispersion de sa tribu, et qui est de la famille des Uncas ; il se nomme Chingachgook, ou le Grand-Serpent. Il venu ici, tiré par cette corde, et je l’ai suivi, ou plutôt je l’ai précédé ; car j’y suis arrivé le premier sans être tiré par autre chose que l’amitié, ce qui est bien suffisant pour ceux qui ne sont pas chiches de leur affection, et qui sont disposés à vivre un peu pour leurs semblables aussi bien que pour eux-mêmes.

— Mais toute corde à deux bouts. L’un dites-vous était attaché au cœur d’un Mohican ; et l’autre ?

— L’autre était ici près du feu, il y a une demi-heure. Wah-ta !-Wah le tenait dans sa main, s’il ne tenait pas à son cœur.

— Je comprends ce que vous voulez dire, mon frère, répondit l’Indien d’un ton grave, saisissant pour la première fois le fil des aventures de cette nuit ; le Grand-Serpent étant le plus vigoureux, a tiré le plus fort, et Wah-ta !-Wah a été forcée de nous quitter.