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OU LE TUEUR DE DAIMS.

sible. Tantôt il parlait intelligiblement ; tantôt ses lèvres s’ouvraient pour prononcer des mots qui n’avaient aucune liaison entre eux, et qui par conséquent n’offraient aucun sens à l’oreille de celles qui les entendaient. Judith l’écoutait avec grande attention, et elle entendit les mots — mari — mort — pirate — toi — chevelures — et d’autres de même espèce, mais qui ne formaient aucune phrase qu’il fût possible de comprendre. Ils étaient pourtant assez expressifs pour que le sens en fût à peu près deviné par une jeune fille dont l’oreille n’avait pu rester entièrement fermée aux bruits désavantageux qui avaient couru sur son père supposé, et dont l’intelligence était aussi vive que son attention était profonde.

Pendant toute la durée de l’heure pénible qui se passa ensuite, aucune des deux sœurs ne pensa suffisamment aux Hurons pour craindre leur retour. Il semblait que leur situation et leur désolation les mettaient au-dessus d’un tel danger ; et quand on entendit enfin un bruit de rames, Judith même, qui seule avait quelque raison de craindre les Indiens, ne tressaillit pas, mais comprit sur-le-champ que c’était l’arche qui approchait. Elle s’avança sans crainte sur la plate-forme ; car si Hurry n’était pas sur le scow, et que les sauvages en fussent en possession, il lui était impossible de leur échapper. Elle avait en outre cette sorte de confiance qu’inspire l’excès du malheur. Mais elle ne trouva aucun motif de nouvelle alarme. Chingachgook, Hist et Hurry étaient debout sur l’avant du scow, et examinaient avec soin le château pour être sûrs qu’il n’y restait plus d’ennemis. Ils avaient vu le départ des Hurons, et l’arrivée de la pirogue des deux sœurs, et c’était d’après ces deux circonstances qu’ils avaient fait route vers le château. Un mot de Judith suffit pour leur apprendre qu’ils n’avaient rien à craindre, et l’arche fut bientôt amarrée à son ancienne place.

Judith ne dit pas un seul mot sur la situation de son père, mais Hurry la connaissait trop bien pour ne pas comprendre, à l’expression de sa physionomie, que quelque chose allait plus mal qu’à l’ordinaire. Il entra le premier dans la maison, mais ce ne fut pas avec l’air de confiance et de hardiesse qui le caractérisait auparavant. Il y trouva Hutter couché sur le dos, et Hetty assise à son côté, l’éventant avec un soin vraiment filial. Les événements de la matinée avaient sensiblement changé les manières de Hurry. Quoique excellent nageur, et malgré la promptitude avec laquelle il avait adopté le seul expédient qui pût le sauver, l’instant où il était tombé dans l’eau pieds et poings liés, et sans aucun moyen de s’aider, étant encore présent à son esprit, avait produit sur lui le même