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DEERSLAYER

adresse ou par force, aurait échappé à ses ennemis, aurait fait les plus grands efforts pour accélérer la vitesse de son petit esquif. Le crépuscule commençait alors à faire place à la nuit, et les objets se distinguaient à peine sur le rivage, mais un reste de lumière flottait encore sur les eaux du lac, et surtout sur la partie qui est la scène de ce nouvel incident, et qui en était la plus large. Étant moins ombragée que le reste de cette nappe d’eau, elle jetait une lueur presque semblable aux teintes du coucher du soleil dans l’Inde ou dans la Grèce. Les troncs d’arbres formant les murailles du château et de l’arche avaient pris une sorte de coloris pourpre qui se mariait avec l’obscurité croissante, et l’écorce de la pirogue du jeune chasseur perdait sa couleur distinctive pour se parer d’une teinte plus riche mais plus adoucie que celle qu’il montrait aux yeux sous les rayons ardents du soleil. Judith et sa sœur avaient dirigé leur nacelle de manière à rencontrer la pirogue de Deerslayer avant qu’il arrivât à l’arche ; et quand les deux nacelles s’approchèrent, les teintes agréables qui semblaient danser dans l’atmosphère donnèrent à la figure brûlée par le soleil du jeune chasseur un aspect plus brillant que de coutume. Judith s’imagina que le plaisir de la revoir pouvait contribuer à donner à ses traits cette expression inusitée. Elle ne se doutait pas que la même cause naturelle faisait paraître sa propre beauté avec avantage ; et elle ne savait pas, — ce qu’elle aurait eu tant de plaisir à savoir, — que Deerslayer, en s’approchant d’elle, pensa que ses yeux ne s’étaient jamais fixés sur une créature plus aimable.

— Vous êtes le bien-venu, Deerslayer, s’écria-t-elle tandis que les pirogues flottaient bord à bord, les rames ayant cessé de se mouvoir. Nous avons eu un jour bien triste, un jour terrible ; mais votre retour nous épargne du moins un malheur de plus. Les Hurons sont-ils devenus plus humains et vous ont-ils rendu la liberté, ou avez-vous échappé à ces misérables par votre courage ou votre adresse ?

— Ni l’un ni l’autre, Judith, ni l’un ni l’autre. Les Mingos sont encore Mingos, et ils vivront et mourront Mingos. Il n’est pas probable que leur nature devienne jamais beaucoup meilleure. Eh bien ! Judith, ils ont leurs dons comme nous avons les nôtres, et je ne crois pas qu’il convienne de mal parler de quoi que ce soit que le Seigneur a créé, quoique, s’il faut dire la vérité, je pense que c’est une rude épreuve de penser ou de dire du bien de ces vagabonds. Quant à les tromper par astuce, cela aurait pu se faire, et nous l’avons même fait, le Serpent et moi, quand nous étions sur la