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DEERSLAYER

signe de bonté et d’amitié. — Plût au ciel que tous les hommes eussent la langue aussi franche et le cœur aussi honnête !

— À cet égard, Judith, les hommes diffèrent certainement. J’en ai connu à qui on ne pouvait se fier qu’autant qu’on les gardait à vue, et d’autres dont vous pouviez compter sur les messages comme si toute l’affaire était finie sous vos yeux. Oui, Judith, vous n’avez jamais dit une plus grande vérité qu’en disant qu’il y avait des gens auxquels on pouvait avoir confiance, et d’autres qui n’en méritaient aucune.

— Vous êtes un être inexplicable, Deerslayer, répondit Judith ne sachant trop comment prendre le caractère de simplicité presque enfantine que montrait si souvent le jeune chasseur, — simplicité si frappante qu’elle semblait souvent le mettre sur le même niveau que la pauvre Hetty, quoique la faiblesse d’esprit de celle-ci fût toujours relevée par la belle vérité morale qui brillait dans tout ce que disait et faisait cette malheureuse fille. — Oui, vous êtes inexplicable, et souvent je ne sais comment vous comprendre. Mais n’y pensez pas en ce moment. Vous ne nous avez pas encore dit comment il se fait que vous êtes ici.

— Moi ! — Oh ! si je suis inexplicable, Judith, cela ne l’est pas. — Je suis en congé.

— En congé ! — Je sais ce que ce mot signifie parmi les soldats, mais je n’en connais pas la signification quand il est employé par un prisonnier.

— La signification en est tout à fait la même. Les soldats l’emploient dans le même sens que je le fais. On dit qu’un homme a un congé quand il a la permission de quitter un camp ou une garnison pour un certain temps spécifié, à la fin duquel il doit y retourner pour porter de nouveau son fusil sur l’épaule, ou pour souffrir la torture, suivant qu’il lui arrive d’être soldat ou prisonnier. Or, comme je suis prisonnier, je dois courir la chance du prisonnier.

— Les Hurons vous ont-ils permis de les quitter ainsi sans gardes, sans espions pour vous surveiller ?

— Sans doute ; je ne pouvais venir d’aucune autre manière, car il m’eût été inutile de vouloir recourir à la force ou à l’astuce.

— Quelle garantie ont-ils que vous retournerez parmi eux ?

— Ma parole. Oui, je la leur ai donnée, et ils auraient été de grands sots s’ils m’avaient laissé partir sans cela ; car en ce cas je n’aurais pas été obligé d’y retourner et de souffrir tout ce que leur fureur infernale peut inventer de pire ; mais j’aurais mis ma carabine sur mon épaule, et j’aurais regagné grand train les villages