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DEERSLAYER

seraient pas autre chose. Moi, par exemple, je sors d’une humble souche, quoique nous ayons des dons blancs et une nature blanche, mais nous ne sommes pas assez pauvres pour ne pas avoir de nom. Nous nous appelons Bumppo, et j’ai entendu dire, ajouta le jeune chasseur, les joues animées d’un peu de vanité humaine, qu’il fut un temps où la famille Bumppo figurait dans le monde plus haut qu’elle ne le fait à présent.

— Elle ne l’a jamais mieux mérité, Deerslayer, et c’est un nom respectable. Hetty ou moi, nous aimerions mille fois mieux être appelées Hetty ou Judith Bumppo, que Hetty ou Judith Hutter.

— Ce qui est moralement impossible, dit le chasseur en souriant avec gaieté, ou à moins que l’une de vous ne voulût s’abaisser jusqu’à m’épouser.

Judith ne put s’empêcher de sourire en voyant la conversation tomber si naturellement sur le sujet auquel elle désirait la conduire. Quoique bien loin d’être portée à faire des avances inconvenantes de la part d’une femme, et auxquelles répugnaient ses sentiments et ses habitudes, elle était excitée par le ressentiment d’injures qu’elle n’avait pas tout à fait méritées, par l’incertitude d’un avenir qui semblait ne lui laisser aucun lieu de repos et de sûreté, et par un sentiment aussi nouveau pour elle qu’exclusif ; l’ouverture faite par Deerslayer venait donc trop à propos pour qu’elle la négligeât, et elle en profita avec l’adresse, sans doute excusable, d’une femme.

— Je ne crois pas que Hetty se marie jamais, Deerslayer, dit-elle ; si votre nom devait être porté par l’une de nous, il faudrait donc que ce fût par moi.

— Eh, eh, Judith ! On m’a dit aussi qu’il y a eu de belles femmes dans la famille de Bumppo ; et si vous veniez à porter ce nom, ceux qui le connaissent ne seraient pas surpris de vous y voir, toute belle que vous êtes.

— Ce n’est point parler comme nous devons le faire l’un et l’autre, Deerslayer. Tout ce qui se dit sur un pareil sujet entre un homme et une femme doit se dire sérieusement et en toute sincérité de cœur. Oubliant donc cette timidité qui doit, en général, faire garder le silence à une jeune fille jusqu’à ce qu’on lui parle, j’agirai envers vous avec la franchise qui doit plaire à un caractère aussi généreux que le vôtre. — Croyez-vous, — pouvez-vous croire — que vous seriez heureux avec une femme comme moi ?

— Une femme comme vous, Judith ! — Mais à quoi bon plaisanter sur un pareil sujet ? Une femme comme vous qui a assez de beauté,