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OU LE TUEUR DE DAIMS.

d’avoir été si loin. Des signes de contrition apaisent ordinairement les hommes les plus austères, mais le caractère de Deerslayer n’avait pas besoin de preuves aussi fortes pour sentir des regrets aussi vifs que ceux que la jeune fille éprouvait elle-même. Il se leva comme si une vipère l’avait mordu, et les accents d’une mère qui cherche à consoler sa fille sont à peine plus doux que le ton avec lequel il exprima ses regrets d’avoir été trop loin.

— J’avais de bonnes intentions, Judith, lui dit-il, mais je n’avais pas dessein d’émouvoir à un tel point votre sensibilité ; mes avis ont été trop loin, oui, je le vois, et je vous en demande pardon. L’amitié est une chose bien étrange ! Elle nous reproche, tantôt de ne pas avoir fait assez, et tantôt d’avoir trop fait. Je reconnais que je m’étais exagéré vos dangers ; mais comme je prends à vous un intérêt aussi vif que véritable, je me réjouis de l’avoir fait, car cela me prouve que vous valez encore beaucoup mieux que ma vanité et mes idées ne m’avaient porté à le supposer !

Judith s’était couvert le visage des deux mains ; elle les laissa tomber, et ses yeux ne versaient plus de larmes. Sa physionomie avait en ce moment quelque chose de si attrayant, et un sourire la rendait si radieuse, que le jeune chasseur la regarda un instant avec une extase qui le rendit muet.

— N’en dites pas davantage, Deerslayer, s’écria-t-elle à la hâte ; je ne puis supporter de vous entendre vous adresser ainsi des reproches à vous-même. Je n’en reconnais que mieux ma faiblesse, depuis que je vois que vous l’avez découverte. La leçon que vous m’avez donnée, quelque amère qu’elle m’ait paru un instant, ne sera pas oubliée. Nous n’en parlerons pas plus longtemps, car je ne me sens pas assez de courage, et je ne voudrais pas que le Delaware, Hist, ou même Hetty, s’aperçussent de ma faiblesse. — Adieu, Deerslayer : que Dieu vous protège comme votre cœur franc et honnête le mérite, et j’aime à croire qu’il le fera.

Judith avait repris la supériorité qui appartenait naturellement à son éducation, à ses sentiments élevés et à ses avantages personnels, au point de pouvoir conserver l’ascendant qu’elle avait obtenu à la fin de cette conversation interrompue d’une manière aussi singulière qu’elle avait été amenée. Le jeune chasseur ne chercha point à la renouer, et la laissa agir à sa guise. Quand elle serra une de ses mains dures entre les deux siennes, il ne fit aucune résistance, et reçut cette espèce d’hommage avec le même sang-froid et le même calme qu’un souverain aurait reçu un semblable tribut d’un de ses sujets, ou une maîtresse de son amant. Le sentiment qu’elle éprou-