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DEERSLAYER

— Il y en a déjà tant, que nos yeux en sont aveuglés, répondit le chef d’un air sombre ; et mes guerriers se plaignent de ce que tout ce sang est huron.

— Sans doute, et le sang huron aurait encore coulé si j’étais venue entourée de Faces-Pâles. J’ai entendu parler de Rivenoak, et j’ai pensé qu’il vaudrait mieux le laisser retourner en paix dans son village pour qu’il y dépose ses femmes et ses enfants. S’il veut ensuite venir chercher nos chevelures, nous irons à sa rencontre. Il aime les animaux d’ivoire et les petits fusils : voyez, je lui en ai apporté, car je suis son amie. Quand il les aura placés parmi tout ce qui lui appartient, il partira pour son village, et y arrivera avant qu’aucun de mes guerriers puisse l’atteindre. Alors il montrera aux Iroquois du Canada quelles richesses il est venu chercher, maintenant que nos pères, qui sont au-delà du grand lac d’eau salée, se sont envoyé la hache de guerre l’un à l’autre ; et j’emmènerai avec moi ce grand chasseur, dont j’ai besoin pour que ma maison ne manque pas de venaison.

Judith, qui connaissait assez bien le mode d’élocution particulier aux Indiens, avait cherché à exprimer ses idées à leur manière sentencieuse, et y avait réussi au-delà de son attente. Deerslayer avait rendu ses expressions avec une grande fidélité, d’autant plus volontiers qu’elle s’était abstenue avec soin de tout mensonge positif, hommage qu’elle rendait à l’aversion bien connue du jeune chasseur pour toute espèce de fausseté qu’il regardait comme une bassesse indigne d’un homme blanc. L’offre des deux pistolets dont l’un avait été mis hors de service par l’accident qui a été rapporté, et de deux tours ou éléphants du jeu d’échecs, fit une forte sensation parmi les Indiens en général ; mais Rivenoak l’accueillit avec froideur, malgré l’enthousiasme que lui avait causé la première vue de la représentation d’un animal à deux queues. En un mot ce sauvage plein de sang-froid et de sagacité ne se laissa pas éblouir aussi aisément que ses compagnons, et, avec un sentiment d’honneur que la moitié du monde civilisé aurait cru surérogatoire, il refusa d’accepter un présent dont il n’était pas disposé à offrir l’équivalent.

— Que ma fille garde ses pourceaux à deux queues pour les manger quand elle manquera de venaison, dit-il, et qu’elle garde aussi ses petits fusils à double canon. Les Hurons tueront des daims quand ils auront faim, et ils ont de longs mousquets pour combattre leurs ennemis. Ce chasseur ne peut quitter mes jeunes guerriers maintenant. Ils veulent voir s’il a un courage aussi ferme qu’il s’en vante.