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OU LE TUEUR DE DAIMS.

même en parlant du ton le plus animé, elle avait un air d’inquiétude et d’attente qui ne pouvait échapper à un observateur si attentif. Elle jouait bien son rôle, mais deux ou trois vieux chefs étaient convaincus que c’était un rôle qu’elle jouait. Elle se trouva donc trompée dans son espoir au moment où elle se flattait d’avoir réussi. Rivenoak ordonna alors que tout le monde reprît sa place dans le cercle, et qu’on préparât encore une fois le bûcher pour l’allumer, le délai ayant été assez long et n’ayant amené aucun résultat.

— Attendez, Hurons ! Attendez, chef ! s’écria Judith, sachant à peine ce qu’elle disait ; une minute de plus ! un seul instant !

Elle fut interrompue par un nouvel incident, encore plus extraordinaire que les autres. Un jeune Indien, venant à pas précipités, perça à travers le cercle des Hurons, et se trouva au centre en un instant, de manière à montrer ou une entière confiance, ou une témérité voisine de la folie. Cinq ou six sentinelles veillaient sur les bords du lac à différents points plus ou moins éloignés, et la première idée de Rivenoak fut que c’était l’un d’eux qui apportait quelque nouvelle importante. Cependant les mouvements de l’étranger étaient si rapides et la peinture dont était couvert son corps, qui n’avait guère plus de draperie qu’une statue antique, avait si peu de signes distinctifs, qu’il fut impossible, dans le premier moment, de reconnaître s’il était ami ou ennemi. Trois bonds l’avaient porté à côté de Deerslayer, dont il coupa tous les liens en un clin d’œil, avec une précision qui rendit au prisonnier l’usage de tous ses membres. Ce ne fut qu’alors que l’étranger jeta un regard sur quelque autre objet. Il se redressa, se retourna, et montra aux Hurons étonnés le front noble et l’œil d’aigle d’un jeune guerrier portant les couleurs et les armes des Delawares. Il tenait de chaque main une carabine dont la crosse reposait sur la terre, et à l’une desquelles étaient attachés le sac à balles et la poire à poudre ; c’était Killdeer, et il la remit à son maître, tout en lançant des regards assurés et audacieux sur les Hurons qui l’entouraient. La présence de deux hommes armés, quoique au milieu d’eux, fit tressaillir les Hurons. Leurs fusils, la plupart non chargés, avaient été laissés à l’écart sous différents arbres, et ils n’avaient d’autres armes que leurs couteaux et leurs tomahawks. Cependant ils avaient trop de sang-froid pour montrer de la crainte, et d’ailleurs il n’était guère probable que deux hommes osassent attaquer une troupe si nombreuse, et chacun pensait que quelque proposition allait suivre une démarche si audacieuse. L’étranger ne trompa point leur attente, car il leur adressa la parole.