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DEERSLAYER

À quelques milles plus haut sur le lac, on trouva une autre pirogue, et les deux sur lesquelles ils avaient quitté le lac quinze ans auparavant étaient encore sur la pointe où ils les avaient laissées en partant. Celle sur laquelle ils étaient, et celle qu’ils avaient vue sur la rive orientale, étaient les mêmes qui avaient été tirées hors de l’eau et placées dans le château. Le plancher, en s’écroulant, les avait fait tomber dans le bassin en dessous du bâtiment, la dérive les avait entraînées par une brèche faite par le temps aux palissades, et enfin le vent les avait jetées à la côte comme des épaves.

D’après tous ces signes, il était probable que le pied de l’homme n’avait pas marché depuis quinze ans sur les bords de ce lac. Le hasard ou la tradition en avait fait de nouveau un lieu consacré à la nature, les guerres fréquentes et le peu de population des colonies renfermant encore les établissements dans des bornes étroites. Chingachgook et son ami s’en éloignèrent avec des idées mélancoliques. C’était la scène de ce qu’ils appelaient — leur premier sentier de guerre, — et cette pensée leur rappelait des heures de tendresse, de dangers et de triomphe. Ils se remirent en route vers le Mohawk en silence, pour aller chercher de nouvelles aventures, aussi périlleuses et aussi remarquables que celles qui avaient accompagné le commencement de leur carrière sur les bords de ce beau lac. À une époque plus éloignée, ils revinrent au même endroit, et l’Indien y trouva son tombeau.

Le temps et les circonstances ont jeté un mystère impénétrable sur tout ce qui concerne Hutter et sa femme. Ils ont vécu, ils ont commis des fautes, ils sont morts et ils ont été oubliés. Personne n’a pris à eux assez d’intérêt pour chercher à soulever le voile qui les couvre, et la fin d’un siècle va même effacer le souvenir de leur nom. L’histoire des crimes a toujours quelque chose de révoltant, et il est heureux que peu de gens aiment à la lire. Les fautes de cette famille sont évoquées devant le tribunal de Dieu, et elles sont enregistrées pour être rendues publiques quand le jour du grand jugement sera arrivé.

Le destin de Judith n’est pas moins mystérieux. Quand Hawkeye, — car c’est ainsi que nous devons à présent appeler notre héros, arriva dans les forts sur le Mohawk, il chercha à découvrir ce qu’elle était devenue, mais il ne put y réussir. Personne ne la connaissait, personne ne se rappelait même son nom. D’autres officiers avaient remplacé à plusieurs reprises les Warley, les Croig, les Thornton et les Graham qu’on a vus figurer dans nos dernières pages. Cependant un vieux sergent de la garnison, récemment arrivé d’Angle-