Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pied et à cheval ; et quelques beaux esprits faisant partie du corps des dragons de Virginie avaient écrit par-dessous avec de la craie rouge : Hôtel de Betty Flanagan.

La matrone à qui l’on faisait tant d’honneur était vivandière, blanchisseuse, et, pour nous servir de l’expression de Katy Haynes, docteur femelle du corps. Elle était veuve d’un soldat qui avait été tué au service, et qui, né comme elle dans une des Antilles, était venu chercher fortune dans les colonies. Elle suivait constamment le corps de Dunwoodie qui était rarement stationnaire plus de deux jours dans le même endroit, mais elle l’accompagnait dans une petite charrette chargée d’objets propres à rendre sa présence agréable. Elle arrivait toujours la première à l’endroit où l’on devait camper, et avait soin d’y choisir un local favorable à ses opérations. Sa célérité en pareil cas était presque surnaturelle. Tantôt sa charrette lui servait de boutique, tantôt les soldats lui construisaient un abri avec les matériaux qu’ils trouvaient sous la main. En cette occasion elle s’était emparée d’un bâtiment abandonné. Ayant remplacé les carreaux de vitre qui manquaient par une partie du linge sale qu’elle avait à blanchir, elle avait réussi à écarter la rigueur du froid qui commençait à être sévère, et à se former ce qu’on appelait un logement élégant. Les soldats étaient placés dans les granges du village, et les officiers s’étaient réunis à l’Hôtel Flanagan, qu’ils appelaient en plaisantant le quartier-général.

Il n’existait pas un seul cavalier dans tout le corps que Betty ne connût, et dont elle ne sût le nom de baptême, le nom de famille et le nom de guerre, et quoiqu’elle parût insupportable à tous ceux à qui l’habitude n’avait pas rendu ses vertus familières, elle était la favorite déclarée de tout le corps. Ses défauts étaient un penchant irrésistible pour la boisson, une malpropreté sans égale et une licence sans bornes dans ses expressions ; mais ils étaient rachetés par quelques bonnes qualités ; un amour ardent pour sa patrie adoptive, un excellent cœur et des principes d’honnêteté à sa façon dans son trafic avec les soldats. Elle avait, en outre, le mérite d’avoir inventé ce breuvage si connu aujourd’hui de tous ceux qui voyagent pendant l’hiver entre les capitales commerciales et politiques de ce grand pays, et auquel on a donné le nom de cock-tail. L’éducation et les circonstances avaient concouru à mettre Élisabeth Flanagan en état de faire un si grand pas dans la composition des liqueurs : car dès son enfance elle avait