Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/245

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la nature de ces deux billets, et sur les motifs que pouvait avoir ce colporteur mystérieux pour prendre tant d’intérêt à un homme qui avait été son ennemi implacable. Lawton savait qu’il était espion au service de l’ennemi car, lorsqu’il avait été mis en jugement devant un conseil de guerre, il avait été prouvé qu’il avait donné avis au général anglais du mouvement que devait faire un corps américain ; et si cette trahison n’avait pas eu de suites fatales, c’était parce qu’un ordre de Washington avait heureusement contremandé ce mouvement à l’instant où les forces anglaises s’apprêtaient à couper le régiment chargé de l’effectuer : mais cette circonstance ne diminuait rien de son crime.

Peut-être veut-il se faire un ami de moi, pensa Lawton dans le cas où il viendrait encore à tomber entre nos mains. Quoi qu’il en soit, il a épargné ma vie dans une occasion, il l’a sauvée dans une autre, je tâcherai d’être aussi généreux que lui ; et fasse le ciel que mon devoir ne se trouve pas en opposition avec ce désir ! Le capitaine ne savait trop si le danger dont il était question dans ce dernier billet menaçait les habitants des Sauterelles ou son détachement ; il penchait assez pour cette dernière opinion, et il se promit de ne pas sortir sans précaution pendant l’obscurité. Un homme vivant dans un pays tranquille, au milieu de l’ordre et de la sécurité, regarderait comme inconcevable l’insouciance avec laquelle Lawton songeait au péril qui le menaçait. Il était plus occupé des moyens d’attirer ses ennemis dans quelque piège que de ceux de déjouer leurs complots.

Ses réflexions furent interrompues par l’arrivée du chirurgien qui avait été faire sa visite journalière aux Sauterelles. Sitgreaves lui apportait un billet de miss Peyton, qui priait le capitaine Lawton d’honorer ce soir les Sauterelles de sa présence et d’arriver de bonne heure.

— Quoi ! s’écria le capitaine, y a-t-on aussi reçu une lettre ?

— Rien n’est plus vraisemblable, répondit le docteur ; il y est arrivé un aumônier de l’armée royale pour l’échange des blessés anglais que nous avons ici, et il est porteur d’un ordre du colonel Singleton, pour que la remise lui en soit faite. Mais jamais on n’a conçu un projet plus fou que celui de les faire évacuer de notre hôpital dans l’état où ils sont encore.

— Un aumônier ! est-ce un fainéant, un ivrogne, un vrai pilier de camp ; un homme capable de mettre la famine dans un régiment, ou un de ces hommes qui font honneur à leur profession ?