Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/30

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ville qui était devenue un camp anglais, c’était aux yeux de ses concitoyens à peu près la même chose que s’il avait émigré à Londres, il sentit que son séjour à New-York serait un crime impardonnable si les républicains triomphaient, et pour ne pas courir ce hasard, il résolut de quitter cette cité.

Il possédait une habitation convenable dans le canton de West-Chester, et comme depuis bien des années il avait l’habitude d’y aller passer les chaleurs de l’été, elle était meublée et prête à le recevoir. Sa fille aînée tenait déjà son rang dans la société des dames ; mais Frances, la plus jeune, avait besoin d’une ou deux années de plus pour achever son éducation et paraître avec l’éclat convenable ; du moins c’était ce que pensait miss Jeannette Peyton ; et comme cette dame, sœur cadette de feu leur mère, avait quitté sa demeure dans la colonie de la Virginie, avec le dévouement et l’affection de son sexe, pour surveiller l’éducation de ses nièces orphelines, M. Wharton sentit que les opinions de sa belle-sœur avaient droit à un profond respect. En conséquence, et d’après son avis, les sentiments du père cédèrent à l’intérêt des enfants.

M. Wharton partit pour les Sauterelles avec un cœur déchiré par le chagrin de se séparer de tout ce qui lui restait d’une épouse qu’il avait adorée, mais obéissant à cette prudence qui plaidait fortement en faveur des biens de ce monde qu’il possédait. Pendant ce temps, ses deux filles et leur tante occupèrent la belle maison qu’il avait à New-York. Le régiment auquel appartenait le capitaine Wharton faisait partie de la garnison permanente de cette ville, et la présence de son fils paraissait à M. Wharton une protection assurée pour ses deux filles et le tranquillisait sur leur absence. Mais Henri était jeune, militaire, franc, étranger au soupçon, et jamais il ne se serait imaginé qu’un uniforme pût cacher un cœur corrompu.

Il en résulta que la maison de M. Wharton devint un rendez-vous à la mode pour les officiers de l’armée royale, de même que celles de toutes les autres familles qu’ils jugèrent dignes de leur attention. Les suites de ces visites furent heureuses pour quelques familles, funestes pour un plus grand nombre, en faisant naître des espérances qui ne devaient jamais se réaliser, et malheureusement ruineuses pour une grande partie d’entre elles. La richesse bien connue du père, et peut-être la présence d’un frère plein d’une noble et courageuse fierté, ne laissaient rien à craindre