Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/302

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et en pleine sécurité. Suivant le cours du ruisseau qui y serpente invariablement, le chemin traversait de riches prairies ou de beaux pâturages, puis, s’éloignant à angle droit, gravissait la pente douce du bas de la montagne qui terminait la vallée, et passant devant la porte de quelque habitation retirée, allait retrouver le ruisseau et la prairie jusqu’à ce qu’il en eût épuisé toutes les beautés, car nul endroit n’était assez écarté pour avoir échappé à la curiosité du génie des grandes routes. Mais bientôt, comme s’il eût voulu admirer un autre genre de beauté agreste, le chemin s’avançait hardiment vers la base d’une barrière en apparence périlleuse, et escaladait une montagne escarpée ; puis s’applaudissant de sa victoire en arrivant sur le sommet, il en descendait audacieusement par une autre vallée où il s’égarait en de nouveaux détours.

En parcourant une route d’un caractère si varié, César éprouva nécessairement des émotions diverses. Sa voiture roulait lourdement sur un terrain uni, et perché sur son siège élevé, le nègre sentait l’importance et la dignité de sa situation ; mais l’instant où il fallait monter était un moment d’inquiétude, et celui où il s’agissait de descendre en était un de terreur. Dès qu’il apercevait le pied d’une montagne, César, par un raisonnement des premiers colons hollandais, commençait par faire sentir le fouet à ses vénérables coursiers, et accompagnant ses coups d’un cri expressif, il leur inspirait une ambition proportionnée à la difficulté de l’entreprise. L’espace à parcourir pour arriver au sommet était franchi avec une rapidité qui secouait horriblement la vieille voiture, au grand inconvénient des voyageurs ; mais cette manœuvre suffisait pour obtenir des chevaux une ardeur glorieuse… Puis le vent leur manquait, leurs forces étaient épuisées, et il restait à surmonter les difficultés les plus grandes. Souvent il devenait douteux si les chevaux traîneraient l’équipage, ou si l’équipage entraînerait les chevaux. Mais le fouet et les cris du nègre excitaient ceux-ci à des efforts surnaturels, et heureusement ils l’emportèrent dans chacune de ces luttes bien contestées. Il leur accordait quelques instants pour respirer, en arrivant sur ce qu’on pouvait appeler à juste titre le territoire contesté, avant d’entreprendre une descente moins difficile peut-être, mais plus dangereuse que la montée. Alors César, avec une dextérité remarquable, s’entourait le corps de ses rênes, et se les passait autour du cou, de manière que sa tête, ce noble membre, était chargée du travail de guider les