Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/331

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éprouver combien l’incertitude de l’attente est plus pénible à supporter que l’assurance même du malheur. Il n’en était pas de même de Frances. Avec toute la confiance de l’affection, elle jouissait d’une sécurité inspirée par le ton d’assurance de Dunwoodie ; elle ne se livrait pas à des doutes dont elle n’aurait eu aucun moyen de sortir ; elle croyait son amant en état d’accomplir tout ce qui était possible à la puissance de l’homme, et, conservant un vif souvenir des manières de M. Harper et de la bienveillance qu’il lui avait montrée, elle se livrait à tout le bonheur de l’espoir rentré dans son cœur.

La joie de miss Peyton était moins expressive ; elle reprocha même plusieurs fois à sa nièce de trop se livrer à la sienne avant d’être certaine que leur attente ne serait pas trompée. Mais le léger sourire qui se peignait involontairement sur les lèvres de la bonne tante annonçait qu’elle partageait elle-même le sentiment qu’elle cherchait à modérer.

— Quoi ! ma chère tante, répondit Frances avec enjouement à une de ses fréquentes remontrances, voudriez-vous que je réprimasse le plaisir que j’éprouve en songeant que Henry est sauvé, quand vous-même vous m’avez dit si souvent qu’il était impossible que des hommes tels que ceux qui gouvernent notre pays sacrifiassent un innocent ?

— Oui, je le croyais et je le crois encore impossible, mon enfant ; mais cependant il faut de la modération dans la joie aussi bien que dans le chagrin.

Frances se rappela ce qu’Isabelle lui avait dit en mourant, et tournant vers sa tante des yeux remplis des larmes de la reconnaissance, elle lui répondit :

— Vous avez raison, ma tante ; mais il y a des sentiments qui refusent de céder à la raison. Ah ! voyez ces monstres qui sont venus pour être témoins de la mort d’un de leurs semblables ! ils font des évolutions dans ce champ, comme si cette vie n’était pour eux qu’une sorte de parade militaire.

— La vie n’est guère autre chose pour le soldat soudoyé, dit Henry cherchant à oublier ses inquiétudes.

— Vous les regardez vous-même, ma chère, comme si vous pensiez qu’une parade militaire a quelque chose de bien important, dit miss Peyton en remarquant que sa nièce regardait par la fenêtre avec une vive et profonde attention. Mais Frances ne lui répondit pas.