Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/339

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d’humilité que d’en éprouver une véritable. Vil vermisseau, es-tu assez humble pour désirer de glorifier Dieu par ta propre damnation ? Si tu ne portes pas jusque-là l’amour que tu lui dois, tu ne vaux pas mieux que les publicains et les pharisiens.

Un fanatisme si grossier était si peu commun en Amérique, que miss Peyton crut un instant que la raison de ce ministre était égarée. Mais, se rappelant que celui qui l’avait envoyé était un homme bien connu et jouissant d’une grande réputation dans ces environs, elle écarta cette idée, et se contenta de lui répondre :

— Je puis me tromper en croyant que les sources de la miséricorde divine sont ouvertes pour tous les hommes ; mais cette doctrine est si consolante, que je serais bien fâchée d’être détrompée.

— Il n’y a de miséricorde que pour les élus, dit le ministre avec force, et tu es dans la vallée des ombres de la mort. N’es-tu pas de cette religion qui ne consiste qu’en vaines et futiles cérémonies, et que nos tyrans voudraient établir ici, de même que leurs lois sur le timbre et sur le thé ? Réponds-moi, et songe que Dieu entend ta réponse : ne fais-tu point partie de cette secte impie et idolâtre ?

— Je suis la religion de mes pères, dit miss Peyton en faisant signe à Henry de garder le silence, et je n’ai d’autre idole que l’infirmité de la nature humaine.

— Oui, oui, je le sais. Tu écoutes ces hommes de chair et de sang qui ne sauraient prêcher qu’un livre à la main. Était-ce ainsi que saint Paul convertissait les gentils ?

— Ma présence est inutile ici, dit miss Peyton d’un ton un peu sec ; je vais vous laisser avec mon neveu, et offrir dans la solitude des prières que j’aurais voulu joindre aux siennes.

À ces mots elle se retira, suivie de la bonne fermière qui était aussi étonnée que peu contente du zèle outré de sa nouvelle connaissance ; car, quoiqu’elle crût fermement que miss Peyton, ainsi que tous ceux qui partageaient les opinions de l’Église anglicane, étaient sur le chemin de la perdition, elle ne pensait pas qu’on dût leur dire de pareilles vérités en face.

Henry avait contenu jusqu’alors, non sans peine, l’indignation que lui avait inspirée cette attaque si peu méritée contre une tante dont la douceur était inépuisable ; mais, dès qu’il ne vit plus près de lui que le ministre et César, il s’y abandonna, et dit avec chaleur :