Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/34

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dire en se redressant d’un air d’importance — Ce jeune homme se donne bien des airs ! c’est sans doute un commis marchand, un courtaud de boutique ?

L’idée de ce qu’on appelle un courtaud de boutique ne s’était jamais présentée à l’imagination de Sara avec celle de l’aimable et élégant Peyton Dunwoodie. Elle regarda le colonel d’un air surpris.

— Je parle, dit-il, de ce M. Dun… Dun…

— Dunwoodie ! s’écria Sara ; détrompez-vous ; c’est un de nos parents, un intime ami de mon frère. Ils ont fait ici leurs premières études ensemble, et ne se sont séparés qu’en Angleterre, où l’un entra dans l’armée, et l’autre dans une école militaire française.

— Où il a dépensé beaucoup d’argent pour ne rien apprendre, dit Wellmere avec un dépit mal déguisé.

— Nous devons le désirer, du moins, dit Sara, car on assure qu’il est sur le point de joindre l’armée des rebelles. Il est arrivé ici sur un bâtiment français, et il est possible que vous le rencontriez sur un champ de bataille.

— De tout mon cœur, répliqua le colonel ; je souhaite à Washington de semblables héros par centaines. Et il chercha à faire tomber la conversation sur un autre sujet.

Ce fut quelques semaines après cette conversation qu’on apprit que l’armée du général Burgoyne avait mis bas les armes ; et M. Wharton, voyant que la fortune se balançait entre les deux partis au point qu’on ne pouvait dire pour lequel elle finirait par se déclarer, résolut de satisfaire entièrement ses concitoyens, et de se contenter lui-même, en faisant venir ses deux filles près de lui. Miss Peyton avait consenti à les accompagner, et depuis ce temps jusqu’à l’époque où commence cette histoire, ils n’avaient fait qu’une seule famille.

Toutes les fois que la garnison de New-York avait fait quelques mouvements, le capitaine Wharton l’avait accompagnée, et il avait ainsi trouvé l’occasion, sous la protection de forts détachements en opération dans les environs des Sauterelles, de faire à la dérobée deux ou trois courtes visites à sa famille : mais à l’époque où nous sommes arrivés, il y avait plus d’un an qu’il ne l’avait vue, et Henry, impatient d’embrasser ses parents, s’étant déguisé comme nous l’avons dit, était malheureusement arrivé chez eux le jour où il se trouvait un hôte suspect dans une maison où l’on voyait rarement des étrangers.