Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/83

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À gauche du terrain sur lequel le major avait dessein de rencontrer l’ennemi, était un bois très-fourré qui bordait la vallée sur la longueur d’environ un mille ; il y plaça la compagnie de guides, qui se cacha près de la lisière, de manière à pouvoir maintenir un feu roulant sur l’ennemi dès qu’on verrait sa colonne s’avancer.

Tous ces préparatifs se faisaient en vue des Sauterelles, et l’on doit bien croire que les habitants de cette demeure ne les regardaient pas en spectateurs désintéresses ; au contraire, la vue de cette scène leur faisait éprouver tous les sentiments qui peuvent agiter le cœur humain. M. Wharton seul ne voyait rien à espérer dans le résultat de l’affaire qui allait avoir lieu, quel qu’il pût être. Si les Anglais étaient vainqueurs, son fils il est vrai, ne courait plus aucun risque mais qu’en résulterait-il, pour lui-même ? Il avait soutenu jusqu’alors son caractère de neutralité au milieu des circonstances les plus embarrassantes. Le fait bien connu qu’il avait un fils dans l’armée royale ou l’armée régulière comme on l’appelait, avait failli faire prononcer la confiscation de ses propriétés, et il n’en devait la conservation qu’au crédit d’un parent qui occupait un poste éminent dans la nouvelle administration du pays, et à une conduite toujours dictée par la prudence. Au fond du cœur, il était attaché à la cause du roi ; et quand le printemps précédent, en revenant du camp américain, Frances lui avait communiqué en rougissant les désirs de son amant, une des raisons qui l’avaient déterminé à accorder son consentement, était le besoin qu’il sentait de se faire de puissants appuis dans le parti républicain, plutôt qu’aucune considération tirée du bonheur de sa fille ; mais si maintenant son fils, arrêté par les insurgés était sauvé par les troupes royales, il passerait, dans l’opinion publique pour avoir conspiré avec lui contre la sûreté de la patrie. Si, au contraire, Henry restait captif, et qu’il fût mis en jugement, les conséquences pouvaient en être encore plus terribles. Quelque attaché qu’il fût à ses biens, M. Wharton aimait encore davantage ses enfants, et il regardait ce qui se passait dans la vallée avec un air d’inquiétude vague qui annonçait la faiblesse de son caractère.

Son fils était animé de sentiments tout différents. Le capitaine Wharton était resté sous la garde de deux dragons dont l’un faisait sa faction en long et en large sur la terrasse, d’un pas mesuré, et dont l’autre avait reçu l’ordre de ne pas le perdre de vue un