Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

afin d’être plus à son aise pour écouter les propos bizarres du maître d’hôtel, qui, loin de l’importuner, l’amusaient toujours. Je vous répondrai à la place de sir Gervais, qui a toujours quelque scrupule quand il s’agit de faire valoir la supériorité d’un vaisseau sur une maison.

— C’est cela, Votre Honneur, c’est précisément le côté faible de sir Gervais, comme on pourrait dire. Or, je ne vais jamais à terre sans être bien orienté au plus près, me jetant en travers sur l’avant de tous ceux que je rencontre, ce qui est la même chose que si je leur disais que j’appartiens à un vaisseau amiral, fin voilier, à un bâtiment qui n’a pas son égal sur l’eau salée ; le tout sans vouloir rabaisser en rien le petit morceau d’étamine bleue[1] qui flotte en tête du mât d’artimon du César, ni le vaisseau qui le porte. Comme nous nous connaissons si bien, j’espère que je ne vous offense pas, amiral Bluewater.

— Pourquoi m’offenserais-je, quand je sais que vous n’avez pas intention de m’offenser, mon bon ami ? — Mais voyons votre menu.

— Eh bien, amiral, le premier plat dont j’ai parlé à mistress Larder, cuisinière de sir Wycherly, était du lobscouse[2], et le croiriez-vous, Messieurs, la pauvre femme n’en avait jamais entendu parler ! J’ai commencé par la toucher d’une main légère, ne voulant pas la couler à fond sous le poids de ma science, comme sir Gervais, en capturant une frégate française, ne voulut faire feu que de sa batterie haute, afin de la prendre toute vive.

— Et elle ne connaissait pas le lobscouse ? Elle n’en savait ni la nature ni l’essence ?

— On ne met jamais aucune essence dans le lobscouse, amiral. On y ajoute quelquefois des pommes de terre, comme nous le faisons à bord du Plantagenet, ce qui rend ce mets si savoureux qu’on croirait qu’il y entre du rhum de la Jamaïque. Oui, oui, les pommes de terre sont l’essence qu’il faut pour le lobscouse ; et c’est une bonne chose qu’une pomme de terre, sir Gervais, quand un équipage a été quelques mois à la viande salée.

— Et quel fut le second plat sous lequel la bonne femme succomba ? demanda Bluewater, craignant qu’Oakes ne renvoyât son maître d’hôtel pour reprendre la discussion politique.

— Eh bien, amiral, elle ne connaissait pas plus un plat de chou-

  1. Pavillon carré bleu en tête du mât d’artimon, et qui est la marque distinctive d’un contre-amiral de l’escadre bleue.
  2. Mets usité dans la marine anglaise ; il se compose de bœuf salé, de biscuit de mer et d’oignons, le tout cuit ensemble avec force poivre.