Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/103

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chose après tout, car il ne s’agit que de remettre ce bout de lettre à l’amiral Bleu.

— Et d’où vient cette lettre ? comment se trouve-t-elle entre vos mains ? demanda Bluewater en jetant un coup d’œil sur l’adresse, dont il parut reconnaître l’écriture.

— Elle vient de Londres, à ce que je comprends, et ce doit être un grand secret que vous l’ayez reçue. En voici toute l’histoire : — Un officier arriva ici ce soir à toutes voiles dans une chaise de poste, nous apportant des ordres. Il paraît qu’il rencontra M. Atwood à son atterrage, et comme il le connaissait, il lui laissa son paquet pour le remettre à qui de droit. Il prit alors un bateau pour se rendre à bord du Dublin ; mais rencontrant votre barge[1] qui se rendait à terre, il nous demanda où il trouverait l’amiral Bleu, qu’il croyait à bord. Quelqu’un lui ayant dit que j’étais l’ami, et en quelque façon le serviteur des deux amiraux, il me demanda mon avis et me conta toute son affaire. Ainsi donc, je me chargeai de remettre cette lettre, comme j’en ai remis des milliers d’autres. Il me donna en même temps des instructions spéciales qui étaient de remettre cette lettre à l’amiral, comme qui dirait sous le vent du foc d’artimon, c’est-à-dire en particulier. Eh bien, Messieurs, je me suis chargé de cette mission et maintenant vous comprenez l’affaire aussi bien que moi.

— Et suis-je donc devenu, suivant vous, un personnage assez insignifiant pour n’être personne à vos yeux si clairvoyants ; maître Galleygo ? demanda le vice-amiral avec vivacité ; c’est ce que je soupçonnais depuis vingt-cinq ans.

— Comme les amiraux se méprennent quelquefois ; sir Gervais ! Il ne sont que de simples mortels ; comme je le dis dans la cuisine, et ils ont un faux appétit comme les midshipmen quand ils se jettent en travers de quelqu’un. Or, je vous regarde à peu près, l’amiral Bleu et vous, comme ne faisant qu’une seule personne, vu que vous n’avez que peu ou point de secrets l’un pour l’autre. Je vous ai connus tous deux quand vous êtes entrés au service comme midshipmen et vous vous aimiez comme deux jumeaux ; — quelques années après, vous passiez tout votre quart à vous promener sur le pont en vous racontant de longues histoires. — Je vous ai connus quand on vous surnommait Pillardès et Arrestès[2], et pourtant vous n’aviez ni pillé ni arrêté personne. Enfin confier un secret à l’un de vous, j’ai toujours pensé que c’était le confier aussi à l’autre.

Les deux amiraux échangèrent un regard, et l’affection que chacun

  1. Barge est le nom que l’on donne en marine anglaise au canot des amiraux.
  2. Pylade et Oreste.