Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/118

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entendant ces mots resta sur son fauteuil sans faire un seul mouvement.

Dutton avait l’esprit trop obtus pour comprendre le sens caché des paroles de sa fille sans avoir vu le contre-amiral, et il était trop courroucé sans savoir pourquoi, pour songer à autre chose qu’à montrer une indignation sans motif.

— Mettez-vous plus en face de moi, Mildred ! s’écria le père avec emportement ; plus en face ! vous dis-je ; comme cela convient à une fille qui ne connaît pas ses devoirs envers son père, et qui a besoin qu’on les lui apprenne.

— Ah ! Dutton, s’écria la mère affligée, n’accusez pas Mildred de ne pas remplir ses devoirs. Vous ne savez pas en ce moment ce que vous dites. Vous ne connaissez pas ses oblig… son cœur, je veux dire ; sans quoi vous ne vous permettriez pas une si cruelle accusation.

— Silence, mistress Marthe Dutton ! — Ce n’est pas à vous que j’ai affaire à présent ; c’est à cette jeune fille, à qui j’espère que j’ai droit de parler net, puisque je suis son propre père. Silence donc, mistress Marthe Dutton. Si ma mémoire ne me trompe, vous vous êtes trouvée une fois avec moi devant l’autel de Dieu, et vous m’y avez promis amour, respect et obéissance. — Oui, obéissance est le mot, mistress Marthe Dutton.

— Et que m’y avez-vous promis en même temps, Frank ? s’écria sa femme, à qui son cœur déchiré arracha cette question, qui ressemblait à un reproche.

— Rien que ce que j’ai honnêtement et loyalement exécuté : — de vous protéger, de vous fournir nourriture et vêtements, — et de vous donner le droit de porter en face du monde le nom honorable de Frank Dutton.

— Honorable ! murmura la malheureuse femme d’un ton trop bas pour que son mari pût l’entendre, ses excès lui ayant rendu l’oreille dure, mais qui fut entendu par Mildred et par l’amiral. Après avoir répété ce mot avec angoisse, elle se couvrit le visage des deux mains, se laissa tomber sur une chaise et garda le silence.

— Venez plus près, Mildred, s’écria Dutton d’un ton brutal. Vous êtes ma fille, et quoique d’autres puissent oublier ce qu’elles ont promis à l’autel, une loi de la nature vous enseigne à m’obéir. Vous avez deux admirateurs, et vous devriez être charmée de jeter le grappin sur l’un ou sur l’autre, quoiqu’il y ait un grand motif de préférence pour l’un des deux.

— Mon père ! s’écria Mildred, sa délicatesse et sa sensibilité se révoltant à cette allusion grossière à un nœud qu’elle considérait