Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/276

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savait faire assez suffisamment respecter cette barrière formidable opposée contre une familiarité excessive, cette grande cause de mécontentement dans une escadre, l’étiquette navale, pour prévenir tout ce qui aurait pu dégénérer en mésintelligence sérieuse ; et une harmonie parfaite régnait entre lui et les différents magnats qui étaient sous ses ordres. La circonstance que sir Gervais était un amiral aimant les combats contribuait peut-être à maintenir la tranquillité intérieure dans son escadre ; car on a souvent remarqué que les armées de terre et de mer ont plus d’indulgence pour les chefs qui les mettent souvent en face de l’ennemi, que pour ceux qui les tiennent dans l’inaction et qui les exposent moins aux dangers. On dirait que des rencontres fréquentes avec l’ennemi sont autant d’issues par où s’échappe toute tendance superflue à des querelles intestines. Nelson, jusqu’à un certain point, fut un exemple de cette influence dans la marine anglaise ; Suffren[1] dans celle de la France, et Prèble, à un degré beaucoup plus haut que les deux autres, dans la nôtre. Quoi qu’il en soit, tandis que la plupart de ses capitaines se sentaient plus restreints dans leurs droits de commandement quand sir Gervais se trouvait à leur bord, ou à portée de leurs vaisseaux, que lorsqu’il était dans la chambre du Plantagenet, la paix était rarement interrompue entre eux, et tous avaient pour lui, en général, autant d’affection que d’obéissance. Des deux amiraux, Bluewater était certainement le favori, mais il était à peine aussi respecté, et il n’inspirait certainement pas la moitié autant de crainte.

Dans l’occasion dont il s’agit, le vice-amiral ne traversa pas la flotte sans donner de nouvelles preuves du penchant particulier auquel nous avons fait allusion. En passant devant un vaisseau, il ordonna au patron de sa barge de faire lever rame, et hélant ce bâtiment, il s’écria — Ho ! du Carnatique !

— Amiral ! répondit l’officier qui était de quart sur le pont, sautant à la hâte sur l’affût d’un canon du gaillard d’arrière, et levant son chapeau.

— Le capitaine Parker est-il à bord, Monsieur ?

  1. Suffren, quoique un des meilleurs hommes de mer que la France ait jamais eus, était sévère et même bourru. Il devait être d’une famille noble, car c’était comme chevalier de Malte qu’il portait le titre de bailli de Suffren. Une circonstance singulière se rattache à la mort de cet officier, qui arriva peu de temps avant la révolution française. Il disparut tout à coup, et personne ne sut où il fut enterré. On suppose qu’il fut tué par un de ses officiers dans une rencontre dans les rues de Paris pendant la nuit, et que la famille du vainqueur eut assez d’influence pour empêcher toute enquête sur cette mort. On attribue la cause de cette querelle à la manière dure dont cet officier avait été traité pendant qu’il était sous ses ordres.