Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/284

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— Jeune homme de trente-huit ans, sauf quelques mois, sir Gervais, et peu m’importe que les dames le sachent.

— Bon, bon ! la moitié du temps elles nous aiment, nous autres vieux coquins, aussi bien qu’un jeune homme. Mais vous, Greenly, vous êtes encore d’âge à ne pas sentir le temps dans la moelle de vos os, et vous pouvez peut-être voir la folie de quelques-unes de nos idées surannées, quoiqu’il ne soit pas aussi probable que vous puissiez comprendre toutes les sottises qui ont été adoptées de votre propre temps. Rien n’est plus absurde que de vouloir faire des épreuves sur les principes établis des bâtiments. Ce sont des machines, Greenly ; et elles ont leurs lois, qui sont aussi invariables que celles qui règlent le cours des planètes. L’idée de la construction d’un navire a été tirée d’un poisson. L’avant de l’un est la tête de l’autre. — La coque en est le corps ; le gouvernail la queue. Tout ce que nous avons à faire pour obtenir le bâtiment qu’il nous faut, c’est donc d’étudier les poissons. S’il vous faut de l’espace, prenez la baleine, vous avez une grande cale ronde, une profondeur et une largeur convenables, et une coque à vastes contours. — Avez-vous besoin de vitesse ? les modèles ne vous manqueront pas ; prenez le dauphin, par exemple, et vous aurez un avant comme un coin, une coque maigre en avant, et un gouvernail comme la queue de ce poisson. Mais quelques-uns de nos jeunes capitaines gâteraient l’allure du dauphin, s’ils pouvaient respirer sous l’eau et arriver jusqu’à lui. Voyez leurs belles inventions ! — Le premier lord de l’amirauté donnera à un de ses cousins une frégate qui est moulée d’après la nature même, comme on pourrait dire, et qui a une quille qui ferait honte à une truite. Eh bien, une des premières choses que fait le jeune homme en arrivant à bord, c’est d’allonger sa corne, ou bien d’augmenter de quelques lés son artimon, et de lui donner le nom de brigantine ; et le voilà filant vent arrière avec sa barre au vent, vantant les qualités de son bâtiment pour tenir le vent, et bavardant sur la difficulté de le faire arriver.

— Je dois convenir que j’ai connu de tels marins, sir Gervais, mais le temps les guérit de cette folie.

— On doit l’espérer, car que penserait un homme d’un poisson auquel la nature aurait donné une queue juste par le travers de son corps, et qui serait obligé d’avoir une nageoire placée sur sa mâchoire sous le vent, ainsi qu’on place les ailes de dérive à bord des bâtiments hollandais, pour les empêcher de dériver.

Sir Gervais rit lui-même de bon cœur du portrait bizarre qu’il venait de tracer d’une créature née de son imagination. Greenly en fit autant, soit à cause de la singularité de cette idée, soit parce que les