Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/294

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escadres étaient égales à la sienne ; mais comme elles seront d’une force très-inférieure, le comte peut s’arranger pour en finir avec une division, tandis que l’autre sera encore trop loin pour aider la première, et une heure d’un feu bien nourri peut lui assurer la victoire.

— Tout cela est assez plausible, Greenly ; et pourtant j’aurais peine à laisser partir l’ennemi sans lui faire une égratignure. Tant que ce vent durera, il n’y aura pas beaucoup à se battre, et il ne peut y avoir de danger à voir M. de Vervillin d’un peu plus près. Dans une demi-heure ou une heure tout au plus, nous devons le voir de dessus le pont, même avec le peu de chemin que font les deux escadres sous cette allure. Jetez le lock afin de savoir au juste combien nous filons.

— Si nous avions un engagement avec les Français par un pareil vent, sir Gervais, répondit le capitaine après avoir transmis à son premier lieutenant l’ordre que venait de donner le vice-amiral, ce serait précisément donner aux Français l’avantage qu’ils désirent. Ils dirigent ordinairement leurs bordées contre la mâture, et un seul boulet y ferait plus de mal avec le gréement aussi tendu que n’en causeraient une demi-douzaine par une brise modérée.

— Suffit, Greenly, suffit, s’écria l’amiral avec impatience ; si je ne vous connaissais pas aussi bien, et que je ne vous eusse pas vu dans tant de rencontres avec l’ennemi, je croirais que ces dix-neuf bâtiments vous font peur. Vous m’avez fait un assez long sermon sur la prudence pour m’en apprendre le mérite, ainsi nous n’en parlerons plus.

À ces mots, sir Gervais tourna suite talon et se mit à se promener sur la dunette, car il se sentait contrarié quoiqu’il ne fût pas en colère. De petites escarmouches semblables avaient lieu de temps en temps entre lui et son capitaine, qui savait que le plus grand défaut de son commandant dans sa profession, était une audace portée à l’excès et qui, comptant sur une réputation de bravoure bien établie, ne craignait jamais de lui recommander la prudence. Après l’honneur de son pavillon, et peut-être le sien propre, Greenly n’avait rien tant à cœur que celui de sir Gervais Oakes, sous qui il avait servi comme midshipman, comme lieutenant et enfin comme capitaine de pavillon, et son officier commandant ne l’ignorait pas, ce qui l’aurait porté à excuser des libertés encore plus grandes. Après s’être promené quelques minutes d’un pas rapide, le vice-amiral se calma et oublia l’ébullition de mécontentement qui l’avait fait parler, comme il venait de le faire. Il se rapprocha donc de Greenly, qui, bien convaincu que le jugement sain du commandant en chef ne