Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/308

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rable en riant, et tous les matins au point du jour il regarde par les sabords pour tâcher de la revoir.

— Eh bien, Soundings, que pensez-vous du troisième vaisseau de la ligne française ? continua Bury sans faire attention à la légèreté du jeune officier. Avez-vous jamais vu des mâts de hune semblables à ceux qu’il porte ?

— J’ai à peine vu un bâtiment français qui n’en eût de pareils, monsieur Bury ; et vous en auriez de semblables dans cette flotte si sir Jarry voulait le souffrir.

— Mais il ne le souffrira jamais. Le capitaine qui établirait un pareil bâton sur son bord, aurait à le jeter à la mer avant le coucher du soleil. Jamais je n’ai vu chose semblable.

— Que trouvez-vous à redire à ce mât, monsieur Bury ? demanda Magrath, qui avait fréquemment ce qu’il appelait des escarmouches scientifiques avec les anciens officiers de marine : car, quant aux plus jeunes, il jugeait qu’ils avaient trop peu d’expérience pour vouloir entrer en discussion avec eux. Je garantis que ce mât est fait et moulé conformément aux meilleurs principes de physique ; car, en cela, les Français ont certainement l’avantage sur nous.

— Qui a jamais entendu parler de mouler un mât ? s’écria Soundings avec un grand éclat de rire ; on moule la coque d’un bâtiment, mais on allonge ou l’on raccourcit les mâts.

— Je n’ai plus rien à dire, Messieurs ; car je présume que vous allez crier — à bas ! à bas — par acclamation, comme on le fait dans d’autres corps savants. Je ne conseillerais à aucune créature douée de raison d’aller sur mer, l’instinct étant tout ce qu’il faut pour faire un lord grand amiral à vingt queues.

— Je voudrais que sir Jarvy entendît cela, mon homme à livres, dit le quatrième lieutenant, qui venait de se convaincre qu’un livre n’était pas son fort. Je suppose que votre instinct, docteur, vous empêchera de glisser cela dans l’oreille du vice-amiral.

Quoique Magrath eût un profond respect pour le commandant en chef, il voulait toujours avoir le dernier mot dans ses discussions avec les officiers, et sa réponse se ressentit de cette disposition d’esprit.

Honorable lieutenant, dit-il en ricanant, sir Gervais Oakes peut être un excellent marin, mais il n’est pas linguiste. Tout récemment, quand il était à terre parmi les morts et les mourants, il ignorait la signification des mots filius nullius, qui sont du latin d’écolier, comme s’il n’avait jamais eu un rudiment entre les mains. Cependant, Messieurs, c’est la science qui fait l’homme, car les classiques eux-mêmes ne suffisent pas. Quant à apprendre les sciences