Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/417

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que vos sentiments vous suggéraient dès le commencement. Mais à présent, Dick, et comme votre officier commandant, je vous enjoins de garder le silence sur ce sujet, et pour toujours.

— Je tâcherai de vous obéir, Oakes ; mais je n’ai plus bien longtemps à être sous vos ordres, répondit le contre-amiral avec un sourire pénible. Je ne voudrais pas donner lieu à une accusation de mutinerie contre moi dans le dernier acte de ma vie. Vous devez me pardonner mon seul péché d’omission, si vous vous rappelez combien ma volonté s’est complètement assujettie à la vôtre depuis trente-cinq ans que nous ne nous sommes presque jamais quittés, et combien peu mon esprit a contribué à conduire à sa maturité un plan qui n’avait pas puisé son origine dans le vôtre.

— Ne parlez plus de pardon, je vous le défends, Dick. Que vous ayez montré la docilité, d’une fille en exécutant tous mes ordres, c’est une vérité que j’attesterai devant Dieu et devant les hommes ; mais si nous en venons à l’esprit, je suis très-loin de prétendre que le mien ait eu l’ascendant. Je crois au contraire que si l’on pouvait découvrir ta vérité, on verrait que je vous dois plus de la moitié de la réputation dont je jouis aujourd’hui dans ma profession.

— Peu importe, Gervais, peu importe à présent. Nous étions lestes et gaillards, Oakes quand nous avons fait connaissance en sortant de l’école, aussi gais et aussi joyeux que la santé et l’ardeur de la jeunesse le comportaient.

— Oui, Dick, oui, nous étions tout cela, et aussi étourdis et irréfléchis que si un moment comme celui-ci ne dût jamais arriver.

— Vous souvenez-vous de George Anson, de Pierre Warren, de Jack Byng et du petit Charles Saunders ? Nous vivions alors comme si nous ne devions jamais mourir. Et pourtant chacun de nous portait en quelque sorte sa vie dans ses mains.

— C’est ce qui arrive souvent dans la jeunesse, Dick. Mais après tout l’homme le plus heureux est celui qui peut envisager son dernier moment avec calme et sans trop compter sur ses propres mérites.

— J’ai eu une excellente mère, Oakes. Nous ne pensons guère, quand nous sommes jeunes, à tout ce que nous devons à la tendresse infatigable de nos mères, dont les leçons nous sont données dans la vue de notre avenir. Nous étions encore bien jeunes l’un et l’autre quand nous perdîmes les nôtres, et cependant je crois que nous leur devions déjà beaucoup plus que nous n’aurions jamais pu leur payer.

Sir Gervais fit un signe d’assentiment, mais ne répondit rien. Il s’ensuivit un assez long intervalle de silence, et le vice-amiral s’imagina que son ami s’était assoupi, mais il se trompait.