Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/66

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attirer l’attention générale, la pauvre fille, quoique un peu confuse, fut obligée d’y répondre.

— J’ose dire que M. Wychecombe ne parviendra jamais à un rang assez élevé pour vous mettre dans une telle difficulté, répondit-elle. Et c’était avec sincérité ; car, peut-être sans le savoir, elle désirait qu’il ne s’établît jamais une si grande différence entre elle et le jeune officier. — Mais si cela arrivait, ajouta-t-elle, je suppose que ses droits seraient aussi bons que ceux d’un autre, et qu’il devrait garder son nom.

— Dans un pareil cas, qui est assez invraisemblable, comme miss Mildred vient de le faire observer avec tant de raison, dit Tom, nous devrions nous résigner à le voir chevalier ; car ce titre dépend du bon plaisir du roi, qui peut créer chevalier un ramoneur, si bon lui semble. Mais quant au nom, c’est une question toute différente. La chose telle qu’elle est en ce moment n’est pas déjà trop bien mais s’il arrivait qu’il y eût deux sir Wycherly Wychecombe, je crois que mon oncle aurait tort de souffrir un pareil envahissement de ce qu’il peut appeler son individualité, sans faire quelque enquête sur le droit de ce jeune homme à prendre l’un ou l’autre de ces noms, ou tous les deux ; et le résultat pourrait prouver que d’un sir personne le roi a fait quelque chose.

Le ton de dépit et de sarcasme avec lequel il parlait ainsi était trop marqué pour qu’on n’y fît pas attention, et Dutton et sa femme sentirent qu’il leur serait désagréable de se mêler davantage à cette conversation. Cependant mistress Dutton, malgré sa soumission et sa retenue habituelles, sentit le feu lui monter au visage en voyant le sang se porter aux joues de Mildred, et elle découvrit la forte impulsion qui porta sa généreuse fille à se charger elle-même de répondre.

— Il y a plusieurs mois que nous connaissons M. Wychecombe, dit-elle en fixant d’un air calme son grand œil bleu sur la figure sinistre de Tom, et nous n’avons jamais rien vu en lui qui puisse nous faire penser qu’il porterait un nom ou des noms auxquels il ne croirait pas du moins avoir droit.

Elle parlait ainsi d’une voix pleine de douceur, mais si distincte, que chaque mot pénétra jusqu’au fond de l’âme de Tom Wychecombe, qui jeta un regard perçant et inquiet sur Mildred, comme pour s’assurer si elle avait voulu faire allusion à lui-même. Ne trouvant sur ses traits d’autre expression que celle d’un généreux intérêt, il reprit son empire sur lui-même, et répondit avec assez de sang-froid.